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UN DIVORCE

qu’il était monté il n’avait pu se rafraîchir qu’en passant, par quelques rasades.

Aussi regardait-il autour de lui avec un peu d’inquiétude, et quelque chose lui manquait, lorsqu’il vit venir à lui de vieux amis qui l’engagèrent à boire un verre, expression habituelle, mais litote s’il en fut. Son premier mouvement fut de les accueillir avec enthousiasme ; mais ensuite il hésita, en regardant sa fille et Étienne, et sembla se demander s’il n’emmènerait point Anna boire un verre aussi.

Au point de vue des usages suisses, la chose se pouvait ; mais il eût fallu engager toute la compagnie, et M. Grandvaux savait bien que ses vieux camarades ne voulaient que lui. Chacun d’eux avait à raconter son histoire, toujours la même, et puis tous ensemble on exalterait en chœur la libre Helvétie ; mais tout cela se disait mieux quand il n’y avait pas de jeunes gens pour interrompre, critiquer, pérorer, faire les entendus. Il fallait se résigner. M. Grandvaux partit en disant :

— Tu me garderas ma place, petite.

Anna la garda fidèlement, en effet, et Étienne n’osa point venir se placer près d’elle ; mais il arriva qu’on se lassa d’être assis, qu’on fit un tour dans la prairie et qu’Étienne se trouva marcher à côté d’Anna.

Pendant assez longtemps il ne lui dit rien et semblait écouter avec attention tout ce que disaient les autres, obligeant son visage triste à sourire quand ils riaient ; mais enfin, voyant que Claire avait accepté le bras de M. Renaud, il offrit le sien à Anna. Elle le refusa d’un ton fort doux ; cependant il en fut blessé et lui dit amèrement :

— Tu me méprises, n’est-ce pas ?

Pour toute réponse, la jeune fille enlaça de son bras le