la seule que puissent accepter la raison et la liberté. C’est le feu sacré de l’enthousiasme…
— Feu sacré, oui, monsieur ! nous le tenons ! nous l’avons là ! cria M. Grandvaux en se levant avec transport et en se frappant la poitrine. Ah ! le Suisse ! Voyez-vous, monsieur Camille, le Suisse ! il faut apprendre à le connaître ; mais alors…
— Et ne pensez vous pas, monsieur, dit Anna, que le paysan français, s’il s’habillait en soldat, comme le nôtre, pour un seul jour, serait, lui aussi peut-être, un peu gauche sous l’uniforme ?
— Décidément, je rends les armes, dit gaiement Camille ; et c’est à mademoiselle Anna.
— Parbleu ! c’est qu’elle est une vraie Suissesse, ma fille ! dit le père Grandvaux dont l’émotion commençait à ne plus connaître de bornes, et qui serra sa fille dans ses bras à l’étouffer.
Il est certain que ceux qui appelaient le père Grandvaux un vieux dur à cuire auraient indigné ce jour-là toutes les âmes sensibles. Sa large face éclatait de bonhomie, ses petits yeux gris brillaient, et une larme, vraiment, s’y montrait parfois. Au sein de ces blanches montagnes, à l’aspect de cet appareil guerrier, dans ces prairies où alpent les vaches, le vieux Vaudois s’imaginait de nouveau épeler la page noircie du livre en lambeaux où jadis, à l’école, il y avait longtemps, il avait appris l’épopée de sa patrie, Guillaume Tell et Winkelried.
Cependant l’exaltation patriotique, chez les vieillards, et particulièrement chez tous les Suisses, n’est à son aise qu’à table, accompagnée du choc des verres et arrosée d’un vin généreux. Le père Grandvaux n’avait d’ailleurs bu que deux bouteilles à la campagne Renaud, et depuis