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UN DIVORCE

— Allons donc, monsieur Camille, vrai ? C’est pour de rire, je pense. Est-ce que vous croyez, par hasard, que si vous veniez chez nous, en armes, s’entend, ces gens-là ne vous rosseraient pas de la bonne manière ?

— Vous croyez ? fit Camille, de l’air le plus ironique.

— Eh bien ! s’écria Ferdinand, vous qui vous dites démocrate, Camille, et qui vous piquez de prendre les choses de haut, vous vous fourvoyez complétement par vanité nationale et vous épousez l’armée de César, afin de rabaisser la nôtre. Vous savez cependant que les armées permanentes sont incompatibles avec la liberté d’un peuple, et je vous ai entendu cent fois les maudire.

— C’est vrai, dit Camille ; mais, puisque le peu de civilisation que nous avons les rend encore nécessaires…

— Pour quelle raison ? demanda Renaud.

— Pour la défense de la patrie, si les Russes ou les Prussiens…

— Camille, si en 1814 et 1815 vous aviez eu notre organisation militaire, votre sol n’aurait été foulé par aucun Cosaque. Est-il besoin de demander ce qu’auraient fait les puissances alliées en face de six à sept millions de soldats citoyens ?

— De soldats citoyens électrisés par le danger de la patrie ! monsieur Camille. Ne comprenez-vous pas quelle différence existerait entre ces laitiers et ces laboureurs, qui ont endossé ce matin l’uniforme pour une fête, et ces mêmes hommes chargés de défendre leurs foyers, leurs femmes, leurs enfants, contre des armées étrangères ?

— Vous avez raison, répondit Camille avec l’élan de la franchise. La force qui anime alors un pareil soldat est bien supérieure à celle de la discipline. Votre armée est