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UN DIVORCE

basse bourdonnante des conversations, les chants, les cris, tout cela était d’un effet étrange, éclairé par une vive lumière, sous un beau ciel et au sein de ces montagnes, dont les têtes blanches, apparaissant au bord de la plaine, semblaient, étonnées, considérer froidement cette agitation.

Il était midi. Les exercices venaient d’être suspendus, et l’on banquetait. On banquetait du reste depuis le matin, et les longues tables garnies de bancs ne se vidaient guère. Ailleurs, beaucoup de familles, assises en rond sur l’herbe, s’occupaient d’absorber le contenu de leurs paniers. De toutes parts étaient confondus les robes et les uniformes, les képis et les chapeaux, les sabres et les ombrelles, et, rangés en faisceaux, les fusils reluisaient.

On était venu là de plusieurs lieues à la ronde. Les habitants de Lausanne y étaient nombreux. Étienne, accompagné de Camille, passa près du groupe où se trouvait la famille Grandvaux ; mais, au lieu de répondre à son timide salut, M. Grandvaux détourna la tête.

C’est qu’il venait d’arriver à Étienne un nouveau malheur. Le cafetier Jorand, auquel depuis longtemps il devait une forte somme, avait obtenu un jugement contre lui et l’avait fait arrêter et mettre en prison. Étienne, du même coup, allait perdre sa place d’employé si la liberté ne lui était promptement rendue ; mais sa sœur était loin de posséder l’argent nécessaire, et l’attendre de Russie était se résigner à une destitution.

Dans cette circonstance, l’obligeance du père Grandvaux pour son neveu étonna tout le monde. Il paya la dette. Mais, aussitôt après la libération d’Étienne, l’ayant conduit chez un notaire, il lui avait fait signer une reconnaissance, et, sans vouloir accepter ses remercîments, il