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UN DIVORCE

et sur le versant duquel était située une maisonnette appartenant à la famille Renaud, dans une situation qui eût fait envie à quelque nid féodal.

Tout le monde alors mit pied à terre, car le chemin était rocailleux et escarpé. Claire, seule, resta dans la voiture, à demi couchée, les yeux attachés sur la scène des Alpes, qui s’emplissait de formes nouvelles à mesure que l’on montait.

Elle se laissait aller au charme de cette belle journée. Les traces de la souffrance étaient profondes sur ses traits, et ses yeux semblaient contenir un fonds inépuisable de mélancolie ; mais cependant on sentait en elle, comme dans la nature, une jeunesse plus forte que tout élément de destruction, quelque chose d’analogue à ces rameaux de la montagne, flétris et fatigués d’un long séjour sous la neige, mais qui, pleins d’une séve puissante, recommençaient à se couvrir de feuilles et de fleurs.

Claire avait cédé aux douces excitations du printemps, et s’était réjouie d’aller à la fête, qui attirait de Lausanne et des environs une foule de curieux.

On connaît l’organisation militaire de la Suisse, où chaque citoyen est soldat. Pendant tout l’été, dans les chefs-lieux de district, les recrues de l’année, c’est-à-dire les jeunes gens de vingt et un ans, sont exercés à la discipline militaire et au maniement des armes, tandis qu’à certaines époques une partie de l’armée, dite fédérale, s’exerce dans les camps. En outre, dans chaque district, au printemps, deux ou trois jours sont consacrés à des revues générales, qui réunissent les hommes en état de porter les armes, de vingt-deux à cinquante ans.

Pour ces manœuvres d’ensemble une plaine est nécessaire. Mais la plaine en Suisse est chose des plus rares. Cully, petite ville, resserrée entre le lac et la montagne,