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UN DIVORCE

Au dîner, M. Desfayes fut rempli d’attention pour sa femme, et la força de manger un peu.

Contre son habitude, il ne sortit pas aussitôt après le repas, mais resta près du feu, un livre à la main. Claire vit bien qu’il ne lisait guère ; mais elle l’approuva de sauver ainsi la gêne de leur tête-à-tête, et en même temps elle lui savait gré de rester là.

À deux heures Ferdinand tira sa montre, puis il dit en se levant :

— Il faut que je sorte ; mais si tu étais plus fatiguée et que tu eusses besoin de moi, tu pourrais m’envoyer chercher à mes bureaux, ou peut-être, par hasard, au café Jorand.

Il n’irait donc pas au café Fonjallaz. Quand elle fut seule, elle pleura, mais avec moins d’amertume.

Tout le reste du jour, elle flotta dans une indécision pénible. Elle n’avait déjà plus assez de colère pour suivre le conseil de Mathilde et songer à quitter la maison conjugale. Pour ces actes éclatants, il faut une force de volonté que les habitudes de l’éducation chez les femmes détruisent, ou empêchent de se former. C’est pourquoi tout dépend chez elles de la violence du premier moment, le sentiment restant improductif sans la volonté.

La fougue des premiers mouvements passée, en effet, tout retenait Claire. Elle n’avait à soutenir en cette occasion aucun principe de moralité, puisqu’elle n’en avait reçu que de résignation et d’obéissance. Elle ne soupçonnait pas qu’il y eût à remplir pour elle le moindre devoir social, ne fût-ce que celui de se défendre elle-même contre l’injustice ou contre l’opprobre.

Rien n’existait pour elle en dehors de la famille et de ses intérêts. Or, dans tout corps constitué (famille ou légion),