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UN DIVORCE

cœur, de gâter à jamais sa vie, elle eut un élan de haine et d’indignation.

Elle passa ainsi plus d’une demi-heure occupée à sonder l’abîme qui séparait leurs deux natures. Chez lui, le goût presque exclusif de la vie extérieure ; chez elle, ce besoin d’amour qui, dans la solitude de la vie domestique à laquelle elle était vouée, lui semblait le seul aliment qui fût digne des lèvres humaines.

Au bout de ce temps, elle entendit Louise s’informer si Madame ne mangerait rien ce soir.

— Je ne sais, répondit Ferdinand, demandez à Madame.

— Est-ce que Madame n’est pas couchée ? Elle a été malade cette après-midi.

— Ah ! vraiment… Qu’avait-elle donc ?

— Monsieur ne le sait pas ? Madame s’est trouvée malade, elle était toute blanche. Ça lui a duré longtemps.

— C’est bien, je verrai ce qu’elle a, dit Ferdinand.

Il acheva son repas et vint dans la chambre, où Claire était toujours à la même place, immobile. Elle se sentait épuisée et comme en léthargie, et il lui semblait qu’elle ne pourrait prononcer une parole. Mais quand son mari, en lui disant : « Tu es donc malade ? » se pencha sur elle pour l’embrasser, elle le repoussa violemment et bondit à quelques pas.

— Eh bien ! qu’est-ce que cela signifie ? s’écria-t-il, es-tu folle ?

— Non, mais bien malheureuse, répliqua-t-elle.

— Qu’y a-t-il donc ? qu’est-il arrivé ?

— Ce qui est arrivé ! ce qui est arrivé ! dit Claire d’une voix rauque et déchirée ; il est arrivé que vous me trompez, que vous avez une maîtresse, une maîtresse que vous osez recevoir ici ! J’ai tout vu et tout entendu.