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UN DIVORCE

chacune d’elles tenait à posséder dans sa maison pendant quelques heures.

La police enfin fut avertie de la présence des heimathloses. Ayant découvert l’asile où cette famille, au mépris de tous les droits politiques et civils, se reposait sur le sein de la terre, elle les força de reprendre leur éternel voyage, et les reconduisit aux limites du canton, accompagnés de Maëdeli, que son père avait réclamée.

La bonne volonté d’Étienne semblait donc n’avoir eu pour résultat que de procurer momentanément à la pauvre fille des vêtements propres et décents. Il regretta de n’avoir pu davantage ; mais, pour ce qu’il avait fait voulu faire, il fut récompensé par un baiser d’Anna. Vraiment, il eût été le rédempteur de tous les heimathloses et de tous les bohèmes de la terre, qu’elle ne l’eût pas remercié avec plus d’adoration. La chère enfant le croyait capable tout au moins de vouloir l’être, et cela lui suffisait.

Étienne cependant, ne voyant plus sa cousine que tous les dimanches, trouvait la semaine bien longue. Le plus fâcheux de son mal, c’est que, lorsqu’il était seul, il ne savait que faire de lui-même. Quand il avait tenu la plume pendant huit heures, se remettre encore à une table pour étudier, il ne pouvait s’y résoudre. Il allait donc se promener, en rêvant à sa fiancée, mais alors il trouvait toujours sur son chemin quelque ami qui l’engageait à boire un verre, chose qui constitue la distraction suprême, et même à peu près unique, du vrai Vaudois.

Étienne refusa souvent, mais ce changement dans ses habitudes l’exposait aux quolibets de ses camarades, et il avait la faiblesse d’en éprouver de la honte vis-à-vis d’eux. Sa sœur eût pu lui être d’un grand secours ; mais Mathilde était si intelligente, que tout un monde lui échap-