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UN DIVORCE

portant, dans ce patois qui vous distingue, défense de trajeter

— Ne dirait-on pas qu’en France la division de la propriété n’existe pas ? dit Ferdinand en haussant les épaules. Ah çà ! qu’avez-vous aujourd’hui ? que vous a-t-on fait ?

— Mon cher, une déception est un mal. Las des sottises qui se font en France, je pars avec ma boîte et mes pinceaux, je baise avec enthousiasme le sol de la libre Helvétie ; je contemple, j’admire, je parcours les montagnes. C’était l’automne ; une splendeur incomparable ! tout le jour me vautrant dans les hautes herbes, buvant du lait dans les chalets, et puis causant le soir avec quelque syndic en tablier de cuir, ou quelque magistrat laboureur. Force poignées de main, libations dans les caves et vanteries magnifiques. Je m’y grisai ; on a reçu de ma plume en France des épîtres dithyrambiques en votre honneur, et mes amis crédules s’imaginent encore, à l’heure qu’il est, que la Suisse possède là, sans qu’on s’en doutât, la pierre philosophale, introuvée ailleurs, outre ces vertus patriarcales et déclamatoires, cette vie simple et pure dont Rousseau, Gessner, Florian ont fait de si doux tableaux. Ferdinand, je me tais, car vous voici rouge comme votre drapeau, sans la moindre partie blanche ; vous êtes sur le point de vous fâcher.

— Je ne me fâcherai point, répondit Ferdinand Desfayes, en s’adossant les bras croisés contre un des tilleuls en fleur qui bordaient la route, je ne perdrai point mon temps à me fâcher de ce qu’un Français parle de choses qu’il ne connaît pas. D’ailleurs, nous venons de trinquer ensemble, et je sais que vous n’êtes pas de force à vider un verre d’Yvorne sans divaguer.

— Le fait est que sur ce point vos capacités sont mer-