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UN DIVORCE

vant toujours ses pas, jusqu’à présider au coucher d’une famille déplumée de cochinchinois.

Étienne était enivré ; il répétait chaque jour à Anna qu’il ne se sentait plus le même, que désormais, pour la conquérir, il serait capable et fort. Que ferait-il ? À la vérité, il ne le savait pas encore ; mais ses élans étaient si vifs, qu’ils dévoraient d’avance incessamment l’avenir qu’il se promettait. Souvent aussi il revenait sur le passé, en s’excusant de ses fautes et de ses étourderies par l’abandon où son père et sa mère l’avaient laissé dès l’âge de dix ans, et par la sécheresse de son éducation, confiée aux soins contradictoires d’une tante acariâtre et d’une sœur austère, inflexible, qui ignorait entièrement les bienfaits de la tendresse.

Anna le plaignait alors avec tant d’amour, et, en vertu des circonstances atténuantes, le réhabilitait avec tant de chaleur, qu’il ne pouvait se lasser d’être plaint et consolé. Il retrouvait près d’elle au centuple cette tendresse de l’absence de laquelle il avait souffert, et le fiancé, parfois, obtenait quelqu’un des baisers qui avaient, disait-il, manqué à l’enfant. Anna ne demandait qu’à avoir pour lui cette estime de l’amour qui devient si facilement de l’adoration. Elle le gâta si bien qu’au bout d’un mois, il s’irritait déjà des obstacles, de l’attente, et les maudissait comme des malheurs.

— Quoi ! lui dit-elle alors, tandis qu’un étonnement pénible se peignait dans ses doux yeux, tu te trouves malheureux quand nous nous aimons et que nous pouvons nous voir, nous encourager, nous secourir ! Tiens, l’autre jour, dans la Bible, je lisais un passage que j’ai trouvé très-beau : c’est quand Jacob, trompé par son beau-père, consent à travailler sept ans de plus afin d’obtenir Rachel.