Page:Léo - Un divorce, 1866.pdf/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.
104
UN DIVORCE

incisifs. On ne saurait prévoir à qui fût resté le dernier mot, ni quand l’ardeur des combattants aurait pu fléchir ; mais Mathilde, ayant tout à coup fixé les yeux sur le groupe composé de mesdames Pascoud, de Renaud et de Camille, devint pâle et perdit un instant la voix. C’est qu’il n’était pas besoin d’entendre leurs paroles pour comprendre qu’ils se moquaient de Mathilde ; et, de tous ces visages, peut-être celui de Camille était-il le plus railleur. Frappée au cœur, mais toujours vaillante, la jeune fille cingla son adversaire d’un dernier trait plus mordant que tous les autres ; puis, sans vouloir en écouter davantage, tirant un livre de sa poche, elle s’éloigna.

Le regard attentif de M. Schirling avait tout vu, tout saisi, et, quand Mathilde quitta la vigne, il suivit ses pas, en dépit du peu d’attention qu’elle prêtait à lui.

— Que lisez-vous là, miss ?

— L’esthétique de Hégel, monsieur.

— Y trouvez-vous quelque chose d’applicable à la vie ?

— Je ne le cherche pas, monsieur ; c’est pour me reposer du commerce des hommes…

— La philosophie, miss Mathilde, est trop ambitieuse ; elle veut le secret de Dieu ; elle veut raconter le commencement, tracer autour de l’invisible des circonscriptions, mesurer l’instrument de la certitude, saisir une base éternelle. N’y pouvant réussir, elle imagine et se fourvoie, et la science de la vie reste au-dessous de ses efforts. Entre la pratique et la théorie, le monde vacille et se perd.

— Oh ! oui, s’écria-t-elle avec la passion du ressentiment. La pratique et la théorie ! Où sont les hommes assez forts et assez sincères pour ne pas rire à l’occasion de ce qu’ils prétendent adorer ?

— Oui, reprit sir John Schirling avec abattement, nous