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UN DIVORCE

cette absence ne fût le commencement d’habitudes nouvelles.

Ébranlée de plus en plus par mille indices, toute sa sécurité l’avait abandonnée. À Lausanne, presque tous les hommes passent leur soirée au café. Allait-elle être abandonnée à ce point, elle aussi ? Oh ! non, c’était impossible. Elle répéta plusieurs fois ce mot : Impossible ; mais elle n’avait pas moins peur.

Quand onze heures sonnent, elle se lève tout éperdue. Ne serait-il point arrivé quelque chose à Ferdinand ? Le premier mouvement de Claire est de sortir, de l’aller chercher, de s’assurer… Mais les habitudes de crainte et de timidité qu’on lui a données comme seconde nature l’arrêtent et la font hésiter. Elle est seule, Louise est retirée là-haut dans la mansarde, où elle dort. Ceux qui rencontreraient madame Desfayes dehors, seule, à cette heure, que penseraient-ils ?

Il ne vient pas ! De temps en temps, dans la rue, des pas isolés se font entendre, mais ils s’éloignent. Il ne vient pas ! Oh ! combien elle souffre ! Elle marche, elle s’assied, elle joint les mains, elle se plaint tout haut.

C’est qu’une souffrance physique générale, profonde, se mêle aussi à ses tourments. Elle ressent des étouffements, un malaise vague et pénétrant qu’elle n’a jamais éprouvé, et elle est près de s’évanouir.

Jamais elle ne s’était trouvée si seule et si abandonnée. Elle se pelotonna sur le canapé, frissonnante, agitée de mouvements nerveux, toute baignée de larmes, navrée par le sentiment le plus amer : l’ingratitude de celui qu’elle aime. À ce qu’il lui semblait, elle souffrait à en mourir, et, dans son imagination exaltée, elle rêvait que, si Ferdinand la trouvait morte en rentrant, elle serait bien vengée.