Page:Léo - Jean le sot.djvu/8

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ble, poursuivies par Jean qui, de tous côtés, lançait avec mille injures des coups de pied et des coups de poing. À la fin, cependant, la recommandation de son frère lui revint à l’esprit :

« Ne souffre pas qu’on te manque, mais ne frappe point. »

Et, si chaud de colère qu’il fût, il eut honte et s’arrêta court.

— Après tout, je les ai peu frappés, se dit-il, tant ils ont sauté vite et haut, et ce sont eux-mêmes, oui bien, qui se sont frappés contre le plafond et contre les murs. Mais je ferai d’autre sorte, et les punirai sans les frapper.

Il sortit de l’étable en fermant la porte, et, allant remplir un seau d’eau à la fontaine, il revint près des malheureux moutons, qui se serraient avec épouvante au plus loin de lui. Et comme ils ruminaient encore, il leur jeta au nez le seau d’eau froide, et recommença de la sorte trois ou quatre fois. Alors, les voyant se cacher la tête, et ne plus lui montrer que leur dos laineux, il se tint pour satisfait, et quitta l’étable.

— C’est égal, se disait-il, on a grandement de peine à se faire respecter. Je suis malheureux ; je m’épuise à bien faire, et l’on se moque de moi.

Il rentrait au logis en se parlant de la sorte, quand il vit au seuil un pauvre en haillons, vieillard à la mine triste et misérable, qui d’un air abattu, humble, résigné, le des arrondi, s’appuyait sur son bâton, en attendant qu’on le vit et qu’on voulut bien s’occuper de sa présence. Cette fois, ce fut le cœur de Jean plus que sa mémoire qui lui rappela ces mots :

« Sois juste pour tout le monde. »

Et il sentit une grande joie de l’obéissance qu’il devait à son frère sur ce point-là.

— Voyez, dit-il, est-ce juste ? Je le connais, cet homme-là. C’est le père Misère, qui a durement travaillé toute sa vie ; et, maintenant qu’il est vieux et que ses bras ne peuvent plus jouer de la faulx ou de la pioche, il ne trouve plus de journées, et en est réduit à quêter sa nourriture, ne ramassant que des morceaux de pain dur à mettre sous ses vieilles dents, tandis que des guenilles couvrent à peine ses vieux os. Cela n’est pas juste, non ; mais je vais l’être avec lui, moi.

Il fit entrer le pauvre dans la maison, le fit asseoir et alluma le feu pour lui faire chauffer de la soupe. Le vieux Misère, bien touché, car on le recevait souvent avec de