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avec ses doigts, de ne rien dire de ce qui lui viendrait à l’esprit sur les gens et sur les choses, et de consulter son frère en toute occasion.

Toutes choses réglées, ils se mirent en route. Le voyage fut gai. Comme un enfant qu’il était resté, Jean le Sot prenait intérêt à tout, et son frère le laissa causer comme une ajasse[1]a propos de tout ce qu’il vit : bête ou chrétien, colline ou ruisseau, espérant qu’ensuite, la langue fatiguée, il garderait mieux le silence.

On-les reçut comme gens attendus. À la Grangelière, tout était paré, souriant, beau à voir, les parents accueillants, les filles en toilette, la ferme propre et rangée. Tout d’abord, Jean le Sage nomma son frère, et comme celui-ci n’était pas vilain garçon, la fille cadette lui lança un coup d’œil aimable. Le père et la mère lui firent accueil, et, pour causer, lui adressèrent de ces questions qu’on fait aux nouveaux venus : si le pays lui semblait plaisant, s’il était content d’y être venu, s’il désirait faire leur connaissance. Mais, à tout cela, il répondit non, ce qui sembla bien peu poli à tout le monde, et ce dont Jean le Sage lui fit les gros yeux, en y joignant un coup de coude si fort, que Jean le Sot, tout impatienté, s’écria :

— Pourquoi me frapper ! Je fais ce qui est convenu. Je dis le contraire de ce que je pense.

Voilà des gens bien scandalisés, comme on imagine, et Jean le Sage eut beau protester qu’il n’avait rien prescrit de semblable et n’aimait que la vérité, on ne le crut pas, et la chose fut jugée louche et mauvaise ; car bien que ces gens, de leur côté, eussent le soin de garder beaucoup de leurs pensées, de cacher leurs défauts et de se montrer à leur avantage, ils n’en trouvaient pas moins détestable que l’on rusât avec eux. Ainsi commencèrent-ils à se défier du prétendant. Cependant ils ne lui en firent que meilleure mine, et l’on pressa les deux frères de se mettre à table.

ANDRÉ LÉO.

(Le suite à un prochain numéro)

  1. Pie, agasse ; on dit ajasse en Poitou.