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ches pour leur donner un morceau de pain ?

Les affaires de Jean le Sage étant en bon train à la Grangelière, il ne pouvait manquer de s’y rendre maintenant tous les dimanches, mais, d’autre part, laisser désormais son frère tout seul au logis, il n’y pouvait plus songer. Vainement, il demanda aux voisins de se charger de Jean le Sot pour une seule journée. Ils entendaient s’amuser pendant leur dimanche, et non prendre garde et souci d’un pareil fou, si difficile à conduire car il faut avouer, qu’excepté avec les gens qu’il aimait, Jean n’en faisait qu’à sa tête ; or les voisins l’ayant taquiné souvent, il n’avait pour eux que façons pareilles à celles d’un boule-dogue rancuneux. Après bien des hésitations, ne sachant comment sortir de cet embarras, Jean le Sage se résolut d’emmener son frère avec lui, espérant qu’à force de recommandations et de surveillance, il viendrait peut-être à bout de le rendre supportable et d’ailleurs les gens de la Grangelière le savaient bien affligé de ce frère-là.

Pour l’innocent, il fut tout content d’aller en voyage. Car il n’avait point le soin des autres gens, qui s’inquiètent comment on les trouvera, tant de leur personne que de leur parler, de leurs manières et de leurs habits. Lui se présentait bonnement tel qu’il était, sans plus de mystère, ne songeant même pas qu’il aurait pu être différent. Son frère, toutefois, ne le laissa pas dans cette innocence.

— J’ai remarqué, lui dit-il, la veille de leur départ, que tu aimes la bonne chère.

— Oui bien, dit Jean le Sot ; les autres ne l’aiment-ils point !

— Sans doute, mais ils n’en font pas semblant. C’est l’affaire de ceux qui reçoivent de penser à la goinfrerie, et de solliciter leurs convives de s’y livrer : mais ceux-ci, au contraire, doivent prendre un air de n’y pas tenir le moins du monde, et n’accepter que pour faire plaisir aux hôtes.

Jean trouva cela bizarre, mais n’y sut rien objecter, et promettant à son frère de ne pas se montrer gourmand, il demanda de combien de plats il pourrait manger.

— Sois tranquille, dit Jean le Sage ; Quand tu en auras pris décemment, à la suffisance, je te pousserai du pied.

Ce fut ainsi convenu : Jean le Sot promit en outre de parler peu, de ne point bâiller tout haut, de se servir honnêtement d’un mouchoir de poche, de ne point manger