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FEUILLETON DU TEMPS
DU 19 MARS
CONTES POPULAIRES

JEAN LE SOT[1]

On l’appelait de ce nom pour le distinguer de son frère, qui était dit Jean le Sage. Car vous savez que les gens de village aiment à donner à chacun le nom qui, dans leur idée, lui sied le mieux, plutôt que le nom commun de ses père et mère, nul homme ne venant au monde pareil à un autre.

Dans la famille, pendant ses premières années, on le nommait Petit Jean, mais on s’aperçut bientôt de son innocence. Peu agissant, point curieux, il passait le temps dans une rêverie somnolente, qui se rapprochait, semblait-il, du sens confus de la vie dans les plantes et dans les herbes, quand on les voit se chauffant au soleil, ou se baignant dans la rosée, — plutôt qu’à des imaginations humaines.

Accroupi dans la cour ou dans le jardin, il regardait sans voir, ou bien s’occupait des petites bêtes, leur partant en frère. Quelquefois, le soir, couché sur le dos, il contemplait les étoiles, de ses gros yeux ébahis. Au logis, il ne savait rien faire qu’embrasser sa mère, et quand on le grondait, ou qu’on le battait, pour lui donner l’amour du travail, on ne réussissait qu’à le mettre au désespoir. Ils vous regardait alors avec des yeux si pleins de larmes et de reproches que cela navrait, et sa mère disait :

— Qu’y voulez-vous faire ? Laissez-le tranquille. On le tuerait qu’il ne comprendrait pas : c’est un innocent.

Dans le langage des campagnes, innocent veut dire un homme privé d’esprit, un idiot. Jean ne l’était pas tout à fait cepen-

  1. Ce conte est un des plus connu dans le Poitou : Jean le Sot est le Jocrisse du village. Les traits qu’on lui prête sont nombreux et varient suivant les localités. On n’a reproduit ici que les plus saillants. (Note de l’auteur.)