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gredins enrégimentés qui le bousculent et le battent à leur gré. Il n’y a qu’une chose dont on ne s’occupe pas, c’est de l’empêcher de mourir de faim. Il paraît que cela ne regarde personne.

C’est une exception, un point dans l’ensemble, dirait-on.

Exception immense ! Et ce point, c’est toute la vie d’un humain ! C’est l’Humanité elle-même sacrifiée ! C’est l’être qui sent, qui juge, qui souffre, et qui réclame son droit ; dans l’âme duquel se livrent tous les combats, se creusent toutes les amertumes ; où vivent toutes les affections, les élans et les espoirs de notre race ! C’est le centre où se passent les drames qui nous déchirent et nous passionnent. — Ah ! ce n’est rien, cet homme ! Vous vous croyez en face d’une quantité négligeable, parce qu’il est fruste et mal vêtu ? Tout l’amoindrit et le défigure : sa blouse fripée, son visage fatigué, son langage hésitant, parfois grossier ; sa timidité, qui lutte avec l’arrogance devant vous qui représentez l’autorité. L’autorité dont il se défie, parce qu’elle se permet de le rudoyer, parce qu’elle l’écrase ! Il manque assurément de tenue et d’élégance ! Mais qui l’en a privé ? — La société, dont il fait partie intégrante, et qui lui devait l’instruction aussi bien qu’à vous. Car, ainsi que vous il est homme. Et tout ce que vous ne supposez pas en lui, parce qu’il est fruste, va se déchaîner tout à l’heure, quand vous l’aurez congédié. Il est homme, vous dis-je, et il sait fort bien qu’il est lésé ! Il sait, lui, tout ce qu’il endure de vains