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lutte de classe soulève tous les travailleurs d’un immense pays réduit au désespoir par la guerre et l’exploitation, quand elle soulève des millions d’hommes que les pomiestchiks martyrisaient depuis des siècles, que les capitalistes et les fonctionnaires du tzarisme pillaient et tracassaient depuis des dizaines d’années. Il comprend tout cela « en théorie », il admet cela seulement du bout des lèvres ; il est terrorisé par « la situation très complexe ».

Après les journées de juillet, j’ai dû, grâce aux bons soins dont voulait m’entourer le gouvernement de Kérenski, me retirer dans le « sous-sol ». Ge fut naturellement un ouvrier qui me prêta asile. On sert le dîner dans un faubourg de Piter, dans un petit appartement ouvrier. La ménagère apporte le pain. Le mari lui dit : « Regarde quel bon pain. Las ! Ils n’osent plus nous donner de mauvais pain, et nous avions déjà oublié qu’il peut y avoir du bon pain à Piter. »

Cette appréciation de classe des journées de juillet me frappa. Mes pensées étaient occupées par l’importance politique de l’événement. Je soupesais sa portée pour la marche générale des événements, je m’efforçais de comprendre les causes de ce zigzag de l’histoire et les conséquences qu’il pouvait avoir, je méditais sur les changements que nous devions apporter à notre organisation et à nos mots d’ordre pour les adapter à la situation nouvelle. En homme qui n’a jamais connu la misère, je ne pensais pas au pain. Le pain venait pour moi toujours de soi-même, un produit à côté de mon travail d’écrivain. Ma pensée allait à la base des choses, à la lutte pour le pain, par la voie complexe et embrouillée de l’analyse politique.

Et ce représentant de la classe opprimée, quoique ce fût un ouvrier bien payé et instruit, abordait les problèmes de face, avec une simplicité et une droiture, une décision ferme et une clarté de vision telles que nous, les intellectuels, nous en sommes aussi loin que des étoiles. Le monde est divisé en deux camps : « nous », les travailleurs, « eux », les exploiteurs. Les événements de la veille ne le troublent aucunement. Ce fut une de mes rencontres dans la longue lutte contre le capital. Quand on abat la forêt, les branches tombent.