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écarter la responsabilité par une formule habile ; il sut passer le mot d’ordre à ses défenseurs.

Tels sont les côtés forts de Lénine qui ont fait de lui le dictateur des terres russes et le créateur du parti communiste mondial : le fanatisme révolutionnaire destructeur, l’amoralisme intégral et la grande souplesse tactique qui en résultait ; mais c’est à tort qu’on veut encore voir parfois, parmi ses côtés forts une science profonde de la vie politique actuelle. Lénine connaît mal la réalité des faits, il se meut dans l’abstraction. Cela saute aux yeux quand on analyse de près son œuvre.

Ses conceptions sur la société, sur l’Etat, sont des plus élémentaires. L’État actuel, dit-il à la veille de la prise du pouvoir, est quelque chose de si simple, que les fonctions du pouvoir « peuvent être réduites à des opérations peu compliquées d’enregistrement, d’annotation, de vérification », et ces fonctions « sont à la portée de tout homme sachant lire et écrire ». Au premier congrès des Soviets il propose d’arrêter quelques dizaines de banquiers et de capitalistes pour qu’ils livrent les secrets de la production. Quelques mois après la prise du pouvoir, déjà un peu assagi par l’expérience, il pense encore que c’est en achetant le concours de quelques centaines de spécialistes qu’on peut « organiser » le socialisme dans un pays. Ce n’est que peu à peu qu’il se rend compte de la complexité des tâches qui lui semblaient si simples.

Plus frappante encore chez Lénine est son ignorance — on ne peut dire autrement — son ignorance au sujet des relations internationales. On peut même parfois croire que c’est une ignorance voulue, que cet homme qui sait être au courant de toutes les nuances d’opinions dans les milieux socialistes avancés à l’étranger se détourne consciemment du monde bourgeois. Lénine peut affirmer tranquillement au sujet du partage de l’empire des Habsbourgs entre les nouveaux États nationaux que « le prolétariat soulevé a démoli l’Autriche-Hongrie de fond en comble » ; il dit que les élections de 1919 ont donné à la France « une majorité de cléricaux » ; ou bien que le traité de Versailles