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« Ô mon souverain ! Vois-tu ta pauvre Reine, que tu as tant aimée, emmenée prisonnière avec ton fils ? Pourquoi es-tu allé si tôt te cacher sous les voûtes de la tombe obscure, en nous laissant orphelins ? Nous sommes livrés au souverain moscovite ! Nous n’avions ni aides, ni force pour lutter !… Je ne serais pas si malheureuse si je devais être prisonnière d’un souverain de notre religion et de notre langue… Ô mon Roi !… Ouvre pour moi ta tombe obscure, afin qu’elle soit pour nous une couche nuptiale ! Reçois donc ta reine, afin que les infidèles ne jouissent point de sa beauté ! À qui confierai-je ma douleur ? Mon fils est encore petit, mon père est loin, et les Kazaniens sont des traîtres… Tu ne me réponds pas, ô mon Roi ? Mais voici les soldats cruels, prêts à me saisir… N’étais-je point Reine tout à l’heure ? et maintenant… je ne suis plus qu’une prisonnière affligée et une pauvre esclave… Je n’ai plus de larmes, mes yeux ne voient plus à force d’avoir pleuré, ma voix est brisée par les sanglots ! »

Le chroniqueur dit que le prince Sérébrény ne pouvait retenir ses larmes à la vue du désespoir de sa prisonnière. Les adieux à la Reine furent touchants. Un bateau richement orné l’attendait sur la rivière Kazanka. Toute la ville l’accompagna jusqu’au rivage. La Reine exténuée et à bout de forces entra avec peine sur le bateau et salua le peuple qui s’était prosterné en pleurant, la face contre terre. Le chroniqueur répète les paroles d’adieu de Suyun-biké, adressées à son peuple : « Malheur à toi, ô ville de douleur et de sang ! La couronne est tombée de ta tête, et tu es devenue pareille à une veuve délaissée ; de maîtresse que tu étais tu es de venue esclave. Ta gloire est passée, et tu es tombée