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cée. « Quel a été le sort de ces splendides objets ? La favorite n’en jouit guère. À peine étaient-ils terminés que Louis XV mourait, et qu’éloignée de la cour, décriée par ceux qui la veille recherchaient sa faveur, exilée à Pont-aux-Dames, elle ne pouvait plus songer aux brillantes réceptions de Louveciennes. La belle argenterie de Roëttiers, les somptueux services d’or massif ne devaient plus sortir des coffres où on les gardait enfermés. Quand, sous la Révolution, M’" du Rarry se vit menacée, elle lit cacher ses trésors dans des trous creusés, çà et là, au milieu de ses jardins, ou les confia à des amis sur lesquels elle croyait pouvoir compter. Mais le jour où elle comparut devant le tribunal révolutionnaire, quand elle se vit condamnée à mort, à demi morte de peur et à moite évanouie, dans l’espoir suprême de faire changer l’horrible sentence, elle révéla à ses juges les cachettes où elle avait mis son argenterie et ses bijoux. Avec une précision remarquable en un pareil moment, avec une mémoire véritablement surprenante, elle énuméra tout : le nécessaire d’or, comprenant : plateau, théière, bouilloire, réchaud, pot à lait, grande cafetière à chocolat, petite cafetière, écuelle, son couvert et son assiette, passoire, cuiller, le tout d’or, et d’un travail très précieux, ajouta-t-elle, faisant observer que les manches de ces objets étaient en jaspe sanguin. Elle donna la liste des autres ouvrages exécutés par Roëttiers : le service en or, comprenant une douzaine de couverts armoriés, quatre cuillères à sucre, deux cuillères à olives, une cuillère à punch, douze cuillères à café, etc., etc. Elle cita le service de toilette en cristal de roche garni d’or, son beau moutardier d’or[1], ses gobelets, ses innombrables boîtes et bonbonnières, ses couteaux d’or à ôter la poudre du visage, ornés de petits cercles de diamants. Elle indiqua la vaisselle d’argent enfouie dans les caves : dix douzaines d’assiettes (elle rappelait même qu’il en manquait cinq exactement), dix-huit ilambeaux dont trois à deux branches, une douzaine de casseroles, une grande et une petite marmite, dix-neuf grandes cloches, soixante-quatre plats, le tout en argent… sans compter ce dont elle ne se souvenait pas, finit-elle par dire au bout de cette déclaration in extremis. On fouilla Louveciennes. La Convention fit main basse sur tous ces trésors ; on trouva, pour ne parler que de l’orfèvrerie, une quantité d’objets estimés : ceux en or, 60000 livres (il y en avait 89 marcs 6 onces) ; ceux d’argent, 65000 livres (il y en avait 1419 marcs) ; ceux de vermeil, 4200 livres (il y en avait 84 marcs)[2]. Tout cela fut-il vendu ou fondu à la Monnaie ou mis en lieu sûr ? Nous l’ignorons. C’est un mystère que nos recherches dans les Archives ne nous ont pas permis de percer.

Faut-il penser que, dans son trouble, la du Barry n’avait pas indiqué toutes les cachettes de son parc, non plus que les dépôts qu’elle avait pu faire chez des cul-

  1. Ce moutardier, orné de bas-reliefs gravés, avait été livré par Roëttiers le 1er juillet 1773. Il avait coûté 5184 livres. Ces divers renseignements concernant l’argenterie de Mme du Barry sont extraits des dossiers manuscrits de la Bibliothèque Nationale (Département des Manuscrits, supplément français, 8157 et 8158) et des Archives nationales (Dossiers Mr 116, et Mq 300).
  2. De Goncourt, Mme du Barry, appendice, page 400.