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LES RAGIONAMENTI

pèse sur le cœur et ne vous laisse libre ni de parler, ni de remuer.

Antonia. — Ça, c’est le cauchemar.

Nanna. — Oui, le cauchemar. Lui me disait : « Si tu te tais, bonne affaire pour toi ! » et tout en me parlant ainsi, il me caressait mignardement les joues avec la main. « Qui est là ? » disais-je. « Je suis qui je suis », répondait l’Esprit invisible. Comme il s’efforçait de m’écarter les cuisses, que je tenais plus serrées qu’un avare ne tient serrées ses mains, croyant dire tout bas : « Madonna, ô madonna », je le dis assez haut pour qu’elle m’entendît. Le mari, qui était aux prises avec moi, se jeta au bas du lit et courut à la salle, en même temps que sa femme, la chandelle au poing, arrivait voir ce que j’avais. Entrant dans la chambre qu’elle venait de quitter, il aperçut cet animal de Pédagogue couché sur le lit en train de se frotter la javelle, en attendant de s’en servir à faire chanter l’alouette ; et juste comme la bonne planteuse de cornes me disait : « Qu’est-ce que tu as donc ? » un holà ! plus semblable au braiement de l’âne qu’à la voix de l’homme me coupa ma réponse sur les lèvres. Le mari, avec la pelle à feu, cognait brutalement le précepteur, et si la femme, accourue à son secours, ne la lui eût arrachée des pattes, il filait un mauvais coton.

Antonia. — Il avait raison de lui casser tout.

Nanna. — Il l’avait, sans l’avoir.

Antonia. — Comment non, que diable !

Nanna — Il y aurait là-dessus beaucoup à dire. Quand elle vit le sang sortir du nez de l’imbécile, elle se campa les poings sur les hanches et, se tournant vers son mari, à qui la patience venait d’échapper en voyant ce gros butor où il l’avait vu, s’écria, avec de fiers hochements de tête : « Et que te semble-t-il donc que je sois, hein ? Qui suis-je donc, hein ? Elle me disait bien, ma nourrice, que tu ne me traiterais pas autrement que si tu m’avais ramassée en guenilles, comme je t’y ai ramassé, toi. Ses prévisions sont accomplies ; elle qui me disait toujours : Ne le prends pas, ne le prends ps, tu en seras maltraitée. Est-il possible