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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

ouvrir. La porte ouverte, elle s’écrie : « Un Esprit me l’avait dit : Ne te couche pas ; pour sûr ton mari ne restera pas dehors cette nuit. Et de peur de succomber au sommeil, j’ai fait rester avec moi notre voisine, qui en me racontant sa vie au couvent, la pauvrette, m’a toute bouleversée ; si je ne m’étais pas souvenu que notre précepteur était un vrai fais-dodo et ne lui avais dit de venir pour me ragaillardir avec ses bêtises, la nuit se passait mal pour moi. » Elle conduisit à l’étage le credo in Deum qui, sans rien demander de plus, se mit à rire en regardant le pédagogue ; tout troublé par cette arrivée soudaine, il ressemblait à un songe interrompu. Le mari, dès qu’il m’eut aperçue, caressa en lui-même l’idée d’entrer en possession de mon petit domaine. Pour avoir l’occasion de familiariser avec moi, il entreprit le maître, et feignant de prendre grand plaisir à sa conversation, lui fit répéter l’A B C à rebours ; le drôle, en le récitant tout de travers, le faisait rire si fort qu’il en tombait à la renverse. Entre temps, je m’étais bien aperçue des œillades du mari et des signes qu’il me faisait en me marchant sur le pied. « Puisque vos servantes sont allées se coucher, dis-je, je vais me mettre au lit avec elles. » — « Non ! non ! » reprit le bon ami, et se tournant vers sa femme : « Conduis-la dans le cabinet, lui dit-il, elle couchera là » ; ce qui fut fait. J’étais à peine couchée que je l’entends dire à sa femme, très haut, pour que je n’eusse aucun soupçon : « Ma bonne amie, il faut que je retourne à l’instant d’où je viens, envoie au lit ce dort-debout et vas-y toi-même également. » Comme une femme qui touche le ciel du doigt, elle se mit à remuer toutes les hardes d’une armoire, pour lui faire voir qu’elle voulait l’attendre jusqu’au jour. Il descendit l’escalier à grand bruit, ouvrit la porte et, resté en dedans, la referma comme s’il fût sorli, puis remontant tout doucement, à pas de loup, entra dans la chambre où je dormais sans dormir, et en catimini vint se coucher près de moi. En me sentant mettre la main sur la poitrine, j’entrai dans ce délire qu’on éprouve parfois, quand on dort la tête en bas et qu’il vous semble que quelque chose de lourd, bien lourd, vous