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LES RAGIONAMENTI

garde vos appointements. » Le maître se mit à répondre à tort et à travers, alléguant ses raisons, qu’il comptait sur le bout de ses doigts, et entra dans toutes sortes de considérations fantastiques. Madonna se tourna vers moi en s’écriant : « C’est un véritable Cicerchion[1] ! » Ils continuèrent ainsi à disserter du cujus, puis tout d’un coup, changeant de conversation : « Dites-moi, maître, fit-elle, avez-vous jamais été amoureux ? » Le paillard, qui vous avait une queue sinon plus belle, du moins meilleure que celle du paon, s’écria : « Madonna, c’est l’amour qui m’a fait étudier », et exhibant tout ce qu’il savait d’antiquailles, il lui énuméra qui s’était pendu par amour, qui empoisonné, qui précipité du haut d’une tour ; puis il en vint aux femmes, et il lui nomma celle que l’Amour avait conduite a porta inferi, le tout en termes choisis et compassés ; pendant qu’il croassait, elle me poussait le flanc du coude, et après m’avoir tant poussée et repoussée : « Que te semble du Messire ? » me demanda-t-elle. Moi qui lui voyais non seulement jusqu’au fond du cœur, mais jusqu’au fond de l’âme : « Il me paraît très bon à secouer le pêcher et à ébranler le poirier », lui répondis-je. Elle, avec des ah ! ah ! ah ! me jeta les bras autour du cou, et, après avoir dit : « Allez étudier, Maître ! » m’entraîna dans sa chambre. On vint lui annoncer que son mari ne reviendrait ni souper ni coucher ; c’était assez sa coutume. « Ton dormeur de mari prendra patience, me dit-elle toute joyeuse. Je veux que tu restes avec moi cette nuit. » Elle envoya dire un mot à ma mère et obtint la permission. Nous fîmes à nous deux un bon petit souper composé de toutes sortes de friandises : foies, gésiers, cous et pattes de poulets, avec du persil et du poivre en salade, presque tout un chapon froid, des olives, des pommes d’api, fromage de chèvre et pâtes de coings, pour nous bien lester l’estomac, des dragées, pour nous donner bonne haleine ; puis on fit apporter à manger au Maître dans sa chambre : rien que des œufs frais et des œufs durs. Pourquoi des œufs durs ? Imagine-le-toi !

  1. Pour Cicéron