Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.
83
LES RAGIONAMENTI

place de la journée ; c’était une enfilade d’Ave Maria, une grippe-saints, une balaye-églises ; elle jeûnait les vendredis de tous les mois et non pas seulement ceux du mois de mars, faisait les répons, à la messe, comme l’enfant de chœur, et chantait vêpres sur le ton des moines ; on disait qu’elle portait jusqu’à une ceinture de fer sur les chairs.

Antonia. — J’en compisse Sainte Verdiana.

Nanna. — Va, ses abstinences étaient cent fois plus nombreuses que celles de cette Sainte ! Elle ne portait jamais que des socques et aux vigiles de Saint François de la Vernia et de celui des Ascèses[1], elle ne mangeait de pain que ce qui aurait pu tenir dans son poing, ne buvait que de l’eau claire, une seule fois, et restait jusqu’à minuit en oraison ; le peu qu’elle dormait, c’était sur un paquet d’orties.

Antonia. — Sans chemise ?

Nanna. — Je ne saurais te le dire. Il lui arriva qu’un Solitaire marmotte-pénitences, qui vivait dans un petit ermitage à un mille du bourg, peut-être à deux, venait presque chaque jour par chez nous se procurer de quoi vivre ; il ne retournait jamais les mains vides en son désert, parce que le sac dont il se couvrait, sa longue face maigre, sa barbe pendant jusqu’à la ceinture, sa chevelure ébouriffée et je ne sais quelle pierre qu’il portait à la main, à la façon de Saint Jérôme, excitaient la pitié de tout le monde.

Sur ce vénérable Ermite jeta son dévolu la femme du Docteur, qui se trouvait alors à la ville, en train de plaider de nombreux procès ; elle lui faisait d’abondantes aumônes, allait souvent à son ermitage, certainement dévot et agréable, d’où elle rapportait quelques salades amères : car elle se faisait conscience d’en goûter de la douce.

Antonia. — Comment était fait l’ermitage ?

Nanna. — Il se trouvait au faîte d’une colline assez raide, qui portait le nom de Calvaire. Au milieu s’élevait un grand crucifix, avec trois gros clous de bois, qui faisaient peur aux

  1. Elle veut parler de Saint François d’Assise, dont elle fait deux personnages en estropiant le nom de l’Alverne (où il reçut ses stigmates) et celui d’Assise.