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LES RAGIONAMENTI

Antonia. — Il est à croire qu’étant une fort belle vieille, tu as dû être un beau brin de fille.

Nanna. — Nous commencions à être excités quand arriva, de plus, la vertu amoureuse de la musique qui me fit tressaillir jusqu’au fond de l’âme. Ils étaient quatre, qui regardaient sur un livre, et l’un d’eux, sur un luth argenté, accordé à leurs voix, chantait :

Divins yeux sereins…

Après cela vint une Ferrarèse qui dansa si gentiment qu’elle émerveilla chacun. Elle faisait des cabrioles que n’aurait pas faites un cabri, et avec une adresse, oh Dieu ! et avec une grâce, Antonia ! que tu n’aurais jamais voulu voir autre chose. Quel miracle c’était de la voir, la jambe gauche repliée à la façon de la grive, et tout le corps portant sur la droite, tourner comme un tour, de sorte que sa jupe, gonflée par la rapidité de ses tournoiements, déployée en un beau rond, se voyait à peine, autant que les girouettes mues par le vent sur une cabane ou, pour mieux dire, celles en papier que les gamins fichent au bout d’un bâton ; le bras tendu, ils se mettent à courir et s’amusent à les voir tourner si vite qu’à peine les voit-on.

Antonia. — Dieu la bénisse !

Nanna. — Ah ! ah ! ah ! je ris d’un autre qu’ils appelaient le fieu à Ciampolo (d’après moi). C’était un Vénitien qui, en dedans d’une porte, contrefaisait une foule de voix. Il faisait un faquin ou portefaix si bien qu’il n’y avait pas un Bergamasque[1] qui ne lui eût donné gagné. Le portefaix demandait après Madonna à une vieille, et la voix de la vieille disait : « Et que lui veux-tu à Madonna ? » — « Je voudrais lui parler », répondait-il, puis, d’un ton de déception, il ajoutait : « Madonna, Madonna, je meurs, je sens le poumon qui me bout comme une poêle de tripes ! » Et il faisait des lamentations de portefaix les plus drôles du monde. Ensuite, se mettant à la peloter, il riait en disant des mots vraiment

  1. Le dialecte de Bergame passait pour le plus grossier de l’Italie.