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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

le muletier et elle-même se renversèrent, culbutèrent comme un singe. Le verrou était sorti de la gâchette ; l’autre sœur, qui mâchonnait comme une vieille mule, craignant que le poupart, qui n’avait rien sur la tête, ne prît froid, l’embéguina avec le verbi gratia. Sa compagne, furieuse de se voir déclouée, se mit dans une telle colère qu’elle la prit à la gorge et lui fit vomir le peu qu’elle avait mangé, et l’autre s’étant retournée sans s’inquiéter de finir le chemin, elles s’en donnèrent plus que les Bienheureux Pauls[1].

Antonia. — Ah ! ah ! ah !

Nanna. — Juste au moment où le lourdaud se levait pour séparer la mêlée, je sens une main s’appuyer sur mon épaule et j’entends dire tout bas : « Bonne nuit, ma chère petite âme. » J’en frissonnai de peur, tout entière, d’autant plus qu’absorbée par les faits d’armes de ces bêtes en chaleur (je veux dire le mot), je ne pensais pas à autre chose et, me sentant mettre la main sur le dos, je me retournai et dis : « Holà ! qui est celui-ci ? » Et j’allais ouvrir la bouche pour crier au secours, quand j’aperçois le Bachelier, qui m’avait laissée pour aller à la rencontre de l’évêque. Je me rassurai, mais cependant je lui dis : « Père, je ne suis pas de celles que vous croyez… Éloignez-vous un peu… Je ne veux pas… À l’instant même !… Je crierai !… Je me laisserai plutôt ouvrir les veines… Dieu m’en garde !… Je ne le ferai jamais, non, jamais… je vous dis que non !… Vous devriez en être glacé d’horreur… Belle chose !… Cela se saura bien ! » Et il me disait : « Est-il possible qu’en un Chérubin, en un Trône et en un Séraphin se loge tant de cruauté ? Je suis votre esclave, je vous adore, parce que vous êtes mon Autel, mes Vêpres, mes Complies et ma Messe. Et s’il vous plaît que je meure, voici le couteau ; percez-m’en le sein, vous verrez sur mon cœur votre nom suave écrit en lettres d’or. » Et me parlant ainsi, il voulait me mettre dans la main un très beau couteau à manche d’argent doré, avec lame damasquinée jusqu’au milieu. Je ne voulus jamais le prendre, et sans répondre

  1. Les mendiants.