Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.
46
L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

nous dire de bien pauvres filles si nous consumions notre jeunesse avec des bouts de verre. » — « Sais-tu, ma sœur, répondait l’autre, je te conseille de venir avec moi. » — « Et où vas-tu ? » dit-elle. — « Moi, à la tombée de la nuit, je veux me sauver et m’en aller à Naples, avec un jeune homme qui a un camarade, son frère juré, qui ferait ton affaire. Sortons donc de cette caverne, de cette sépulture et jouissons de notre âge comme doivent jouir les femmes. » Mais il fallut peu de paroles à l’amie, qui était facile à persuader. L’offre acceptée, elles jetèrent ensemble les cédrats de verre contre le mur, tâchant de couvrir le bruit qu’ils faisaient en se brisant par les cris de : « Aux chats ! aux chats ! » feignant qu’ils eussent cassé des carafes et tout ce qui se trouvait dans la pièce. Elles sautent à bas du lit, avant tout font un paquet de leurs meilleures hardes, puis sortent de la chambre. J’en étais là, quand voici un tapage très étrange de claques, d’Hélas ! de Malheureuse que je suis ! d’égratignements de visages, de cheveux arrachés et d’habits déchirés. Ma parole d’honneur ! j’aurais cru qu’il y avait le feu au clocher. Je vais mettre l’œil aux interstices des briques, et je vois que c’est cette Paternité de Madame l’Abbesse qui fait les lamentations de l’apôtre Jérémie.

Antonia. — Comment ? l’Abbesse !

Nanna. — La dévote mère des Nonnes et la protectrice du monastère.

Antonia. — Qu’avait-elle ?

Nanna. — Autant que je puis le savoir, elle avait été assassinée par le confesseur.

Antonia. — De quelle façon ?

Nanna. — Au plus beau moment de l’histoire, il avait retiré le bouchon de la bouteille, il voulait le mettre dans le vase à civette. La pauvrette, à qui l’eau était venue à la bouche, toute en luxure, toute en jus, agenouillée à ses pieds, le conjurait par les Stigmates, par les Douleurs, par les sept Allégresses, par le Pater noster de saint Julien, par les Psau-