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LES RAGIONAMENTI

Antonia. — À quel propos ?

Nanna. — À propos de ce que, voulant savoir la raison du sang et connaissant la vérité, elle aurait pu me mettre en prison, liée comme une ribaude, et quand bien même elle ne m’aurait pas donné d’autre pénitence que de raconter aux autres l’histoire de ce sang, te paraît-il que je n’eusse pas lieu de pleurer ?

Antonia. — Non ! Pourquoi ?

Nanna. — Pourquoi, non ?

Antonia. — Parce qu’en accusant la Sœur que tu avais vue jouer à ce qu’il y a dans le verre tu t’en serais tirée gratis.

Nanna. — Oui, si la Sœur s’était ensanglantée comme moi. Ce qu’il y a de certain c’est que Nanna était dans une triste position. Là-dessus, j’entends frapper à ma cellule, je m’essuie le mieux possible les yeux, je me lève et je réponds : gracia plena. En même temps j’ouvre et j’apprends qu’on m’appelle à souper. Moi qui, en vraie soudarde, non en nouvelle Religieuse, avait bafré tout le matin et perdu l’appétit par crainte du sang, je dis que je voulais demeurer sobre pour ce soir ; et ayant refermé la porte au verrou, toute songeuse, je remis la main à ma petite machine et, voyant qu’elle finissait par s’étancher, je me ravivai un tout petit peu et pour passer le temps je retournai à la fente où je voyais briller de la lumière, parce que, la nuit étant venue, les Sœurs avaient allumé, et regardant de nouveau je vois que chacun était nu. Et certainement si le Général, les Nonnes et les Novices avaient été vieux, je les assimilerais à Adam et Ève, avec les autres pauvres âmes des limbes. Mais laissons les comparaisons aux sibylles. Le Général fit monter sur une table carrée à laquelle mangeaient les quatre mignonnes chrétiennes d’Antéchrist son bœuf en herbe, c’est-à-dire le joli même dégingandé tenant un béton au lieu de trompette. Le jeune homme l’emboucha comme les hérauts font de leur instrument et annonça la joute. Et après le taratantara il dit : « Le grand Soudan de Babylone fait assavoir à tous les vaillants jouteurs qu’ils aient sur-le-champ à comparaître dans la lice, les lances en arrêt, et à celui qui en rompra le