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LES RAGIONAMENTI

l’herbe, et à ce bruit elles se précipitent dans l’eau presque toutes ensemble. Peu s’en fallut que, passant par le dortoir, il n’entrât dans la chambre de l’Abbesse qui, avec le Général, réformait les vêpres à l’usage particulier de ses Religieuses. La Cellerière nous le raconta, il avait déjà levé la main pour heurter à la porte, et chaque chose, lorsqu’il l’oublia, parce qu’à ses pieds vint s’agenouiller une Nonnette aussi experte dans le chant figuré que la Drusiana de Buovo d’Antona[1].

Antonia. — Oh ! quelle belle fête s’il était entré là-dedans. Ah ! ah ! ah !

Nanna. — Mais l’occasion se laissa prendre par les cheveux tout le long de ce jour-là, te dis-je, parce qu’à peine s’était assis le Suffragant…

Antonia. — Maintenant tu dis bien.

Nanna. — Voici un Chanoine, c’est-à-dire le Primocier[2], qui lui apportait la nouvelle que l’évêque n’était pas loin. L’autre se leva et se rendit en toute hâte à l’évêché pour se préparer à aller à sa rencontre. Il nous ordonna de manifester avant tout notre allégresse par les cloches. À peine avait-il mis le pied hors du seuil que chacun retourna peu à peu à ses affaires. Le Bachelier, seul, fut forcé d’aller, au nom de l’Abbesse, baiser la main de Sa Révérendissime Seigneurie. Et retournant auprès de leur bonne amie, ils avaient l’air d’étourneaux qui retournent à l’olivier d’où viennent de les chasser les oh ! oh ! oh ! du paysan qui se sent becqueter le cœur quand on lui becquète une olive.

  1. Bovo d’Antona : chanson de geste anonyme de la fin du xiie siècle ; c’est une imitation de la chanson de geste française Beuves d’Hanstonne, dont il y a plusieurs versions et qu’on attribue à Bertrand de Bar-sur-Aube. L’Arétin connaissait les Reali di Francia, ces Royaux de France déjà populaires en Italie de son temps et où l’on trouve Bovo d’Antona. La belle Drusania, la fille du roi d’Arménie, l’amante et puis l’épouse de Bovo, faisait sonner la harpe et chantait à merveille ; l’ayant perdu sur la rive de la mer, elle se fit reconnaître rien qu’en chantant.
  2. Primicier.