Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/36

Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

à soie ayant fini de croître quand, ayant longtemps jeûné, ils dévorent les feuilles de cet arbre sous l’ombre duquel avait coutume de se divertir ce pauvret de Pyrame et cette pauvre petite Thisbé ; que Dieu les accompagne là-haut, comme il les accompagna ici-bas.

Antonia. — Tu veux parler sans doute des feuilles du mûrier blanc ?

Nanna. — Ah ! ah ! ah !

Antonia. — Que signifie ce rire ?

Nanna. — Je ris d’un goinfre de frère, Dieu me le pardonne, qui, tandis qu’il broyait avec deux meules et qu’il avait les joues gonflées comme celui qui sonne de la trompe, mit la bouche au goulot d’un fiasque et le vida tout entier.

Antonia. — Seigneur, étouffe-le !

Nanna. — Et commençant à se rassasier, ils commencèrent à bavarder et, au milieu du dîner, il me semblait être dans le marché de Navone, où l’on entend de toutes parts le bruit des marchandages que font celui-ci et celui-là, avec celui-là et avec ce juif… Et étant déjà rassasiés, ils choisissaient les pointes des ailes de poule, et quelques crêtes, ou bien une tête, et, se l’offrant mutuellement entre hommes et femmes, on eût dit des hirondelles donnant la becquée à leurs petits ; et je ne pourrais pas te dire les rires et les éclats de voix qui suivaient l’offre d’un cul de chapon, pas plus qu’il ne me serait possible de pouvoir te dire les disputes qui se faisaient là-dessus.

Antonia. — Quelle paillardise !

Nanna. — Il me venait envie de vomir quand je voyais une sœur mâcher un morceau, puis le faire passer de sa bouche dans celle de son ami.

Antonia. — La salope !

Nanna. — Et le plaisir de manger s’étant changé en ce dégoût qui vous prend dès que l’on a fait cette chose, ils contrefirent les Allemands qui portent des santés. Et le Général prenant un grand verre de Corso et invitant l’Abbesse à faire de même avala tout le vin comme un faux serment. Déjà les yeux de chacun reluisaient à cause de la boisson comme