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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

pieds et on me mena à cette issue, où vingt Sœurs, avec l’Abbesse, m’attendaient ; et aussitôt que je la vis, je lui fis une belle révérence et elle me baisa sur le front, dit je ne sais quelles paroles à mon père et à ma mère et à tous mes parents qui pleuraient à qui mieux mieux. Et, tout d’un coup, la porte s’étant refermée, j’entendis un « hélas ! » qui fit frémir chacun.

Antonia. — Et d’où venait cet hélas ?

Nanna. — De mon pauvre petit amant qui, dès le jour suivant, se fit Frère des Socques ou Ermite du Sac, sauf erreur.

Antonia. — Le malheureux !

Nanna. — La clôture de la porte fut si rapide que je n’eus pas le temps de dire même adieu aux miens : je crus certes entrer toute vive dans une sépulture et je pensai voir des femmes mortes dans les disciples et dans les jeûnes ; et je ne pleurais plus au sujet de mes parents, mais sur moi-même. Et allant avec les yeux fixés à terre et avec le cœur préoccupé de ce qui allait advenir de moi, j’arrivai au réfectoire, où une foule de Sœurs accoururent m’embrasser et m’appelant leur sœur, gros comme le bras, me firent relever un peu le visage !

Ayant vu quelques visages frais, clairs et colorés, je repris courage ; et les regardant avec plus d’assurance, je disais en moi-même : Certainement, les diables ne doivent pas être aussi laids qu’on les dépeint. Là-dessus, il entra une troupe de frères, de prêtres accompagnés de quelques séculiers. C’étaient les plus beaux jeunes gens, les plus polis et les plus gais que j’eusse jamais vus ; et chacun d’eux prenant son amie par la main, on eût dit des Anges menant les ballets célestiaux[1].

Antonia. — Ne parle pas du ciel.

Nanna. — On eût dit des amoureux folâtrant avec leurs nymphes.

Antonia. — Voici une comparaison plus licite. Continue.

Nanna. — Et les ayant prises par la main, ils leur don-

  1. Le Talmud appelle les anges Maîtres de danse.