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LES RAGIONAMENTI

j’apparus. L’un disait : « Quelle belle épousée aura le Seigneur Dieu ! » Un autre disait : « Quel dommage de faire Nonne une aussi belle fille ! » Un autre me bénissait, un autre me buvait des yeux, un autre me disait : « Le bon an la réserve à quelque frère ! » Mais je n’entendais pas malice au sujet de telles paroles. J’ouïs certains soupirs qui avaient quelque chose de bestial, et je reconnus bien au son qu’ils sortaient du cœur d’un de mes amants, qui pleura durant tout l’office.

Antonia. — Quoi ! tu avais des amants avant que tu ne te fisses Religieuse ?

Nanna. — Sotte qui n’en aurait pas eu ; mais en tout bien, tout honneur. À ce moment, on me fit asseoir au premier rang, devant toutes les femmes, et bientôt commença la messe chantée ; puis je fus placée, à genoux, entre ma mère Tina et ma tante Ciampolina. Un clerc, accompagné par les orgues, chanta un motet, et, après la messe, mes robes monacales, qui étaient sur l’autel, ayant été bénies, le prêtre qui avait dit l’épître et celui qui avait dit l’évangile me relevèrent et me firent remettre à genoux sur les degrés du maître-autel. Alors celui qui avait dit la messe me donna l’eau bénite et, ayant chanté, avec les autres ecclésiastiques, le Te Deum laudamus, avec peut-être cent sortes de psaumes, ils me dépouillèrent des mondanités et me vêtirent de l’habit spirituel. Les gens, s’écrasant les uns les autres, faisaient un vacarme qui ressemblait à celui qu’on entend à Saint-Pierre et à Saint-Jean quand quelqu’une, ou par folie, ou par désespoir, ou par malice, se fait emmurer, comme je l’ai fait une fois moi-même[1].

Antonia. — Oui, oui, il me semble te voir avec cette foule autour de toi.

Nanna. — Les cérémonies finies et l’encens m’ayant été donné avec le Benedicamus, et avec l’Oremus, et avec l’Alleluia, il s’ouvrit une porte qui fit le même grincement que font les troncs des aumônes, et alors on me redressa sur mes

  1. La Nanna raconte ce trait dans le troisième Dialogue.