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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

Nanna. — C’est ainsi ! Pourtant je ne suis pas contente, et il me semble être une épousée qui, à cause d’un certain respect humain, bien qu’elle ait beaucoup de mets devant elle et grand’faim, et, bien qu’elle soit à la tête de la table, n’ose manger. Et, certes, certes, ma sœur, le cœur n’est pas où il pourrait être. Suffit.

Antonia. — Tu soupires ?

Nanna. — Patience !

Antonia. — Tu soupires à tort, prends garde que le Seigneur Dieu ne te fasse pas soupirer avec raison.

Nanna. — Comment ne veux-tu pas que je soupire ? Je viens de me rappeler que ma Pippa a seize ans, et, comme je veux prendre un parti à son sujet, l’un me dit : « Fais-la Sœur ; outre que tu épargneras les trois quarts de la dot, tu ajouteras une Sainte au calendrier. » Un autre dit : « Donne-lui un mari. De toute façon, tu es si riche que tu ne t’apercevras pas que ta fortune ait en rien diminué. » Un autre m’exhorte à la faire Courtisane immédiatement, disant : « Le monde est corrompu, et, même s’il était meilleur, en la faisant Courtisane, tu en fais d’emblée une Dame. Et, avec ce que tu as, avec ce qu’elle gagnera bientôt, elle deviendra une Reine. » De sorte que je suis hors de moi. Et tu peux voir que pour la Nanna aussi il est des ennuis.

Antonia. — Des ennuis comme les tiens sont plus doux que n’est un peu de démangeaison à celui qui, le soir, autour du feu, ayant mis bas ses chausses, se sent venir l’eau à la bouche à l’idée qu’il va avoir le plaisir de se gratter.

Les ennuis, c’est de voir monter le blé ; les tourments, c’est qu’il y ait disette de vin ; la torture, c’est le loyer de la maison ; la mort, c’est prendre l’infusion de bois de gayac deux ou trois fois par an et ne pas se débarrasser des pustules, ne pas sortir des gommes et ne se défaire jamais de ses maux. Et je m’émerveille de toi qui d’une chose aussi minime te fais un souci.

Nanna. — Pourquoi t’en étonnes-tu ?

Antonia. — Parce qu’étant née et élevée à Rome, tu devrais