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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

ne serait pas si mal arrangé en paroles. Et celui qui reste s’imagine être la quéquette à sa petite maman.

Antonia. — Pourquoi font-elles comme cela ?

Nanna. — Pourquoi, hein ? Parce qu’une putain ne semblerait pas être putain si elle n’était coquine, par grâce et privilège, parce qu’une putain qui n’aurait pas toutes les qualités de la putain serait une cuisine sans cuisinier, un repas sans boire, une lampe sans huile, un macaroni sans fromage.

Antonia. — Je crois que c’est une grande consolation pour qui a été ruiné par elles d’en voir quelqu’une attelée à la charrette, comme celle du Capitolo qui dit :

O Madrema non vuole, ô Lorenzina[1]
O Laura, ô Cecilia, ô Béatrice,
Qu’elle vous serve d’exemple, désormais, cette pauvre petite !

Je le sais par cœur, je l’ai appris, croyant qu’il était de Maître Andréa ; j’ai su depuis qu’il avait été fait par celui[2] qui traite les grands Maîtres comme me traite ce traître mal français ; ni parfumeries, ni onguents, ni médicaments ne me guérissent ; patience !

Nanna. — Ma foi, je ne sais plus que te dire, et pourtant j’en ai plus long à te conter que je ne t’en ai conté jusqu’ici. Laisse-moi y penser un peu. J’ai la cervelle en lessive, je l’ai à l’étuve, je l’ai donnée à écosser les haricots, grâce à ta manie de sauter de l’échalas sur la branche. Il vint, te dis-je, à Rome, un jeune homme de vingt-deux ans, noble, riche marchand de nom seulement, un vrai morceau de putain. À son arrivée, du premier coup il me tomba entre les mains, et je feignis de m’amouracher de lui ; il s’en dressa d’autant plus sur ses ergots que je me tenais moins haute sur les miens. Je commençai par lui envoyer ma servante quatre ou six fois par jour, pour le prier de daigner venir me voir ; le

  1. D’après le Zoppino, la Lorenzina était une riche courtisane qui avait d’abord été servante chez un changeur et avait dansé ensuite dans les auberges.
  2. L’Arétin lui-même.