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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

Nanna. — Restes-y, pendant que tu y es ; pourvu que tu m’écoutes, suffit.

Antonia. — Je t’écoute, n’en doute pas.

Nanna. — Le gentil amusement que c’était, au beau milieu du plaisir que n’importe qui prenait de moi, de me voir tout à coup pleurer sans raison aucune ! « Pourquoi pleurez-vous ? » me demandait-il. Entrecoupant mes paroles de sanglots et de soupirs, je lui répondais : « Je suis méprisée de toi, tu ne m’apprécies pas ce que je vaux ; mais patience, puisque ainsi le veut mon misérable sort. » Une autre fois, sur le départ de l’un d’eux, qui me quittait pour une couple d’heures : « Où allez-vous ? lui disais-je en pleurant ; sans doute chez quelqu’une de ces femmes qui vous traitent comme vous le méritez. » Et le bélître se rengorgeait de ce qu’une femme en tînt pour lui. Je sanglotai aussi maintes fois en en revoyant un qui n’était pas venu depuis deux jours, et je lui fis croire que je pleurais du plaisir de le retrouver.

Antonia. — Tu avais des larmes on ne peut plus à commandement.

Nanna. — Prends note de ce que j’étais un de ces terrains où l’eau jaillit dès qu’on les touche ; mieux encore, un de ceux où, sans qu’on les touche, l’eau suinte continuellement. Mais je ne pleurais jamais que d’un œil.

Antonia. — Oh ! pleure-t-on d’un œil ?

Nanna. — Oui, les putains pleurent d’un œil, les femmes mariées pleurent de deux, les religieuses de quatre.

Antonia. — Voilà qui est intéressant à savoir.

Nanna. — Ce serait intéressant si je voulais te le dire : sache seulement que les putains pleurent d’un œil et rient de l’autre.

    toujours un goût littéraire très sûr. Dans son premier ouvrage il déclare que Dante ne vaut pas plus que Serafino Aquilano :

    Più non val Dante o il terso Serafino.

    On raconte aussi qu’étant enfant, ayant sous la main Virgile, Pétrarque, d’un côté, et de l’autre la Regina Ancroja et les Amours de Lucien, il prit ceux-ci et laissa ceux-là.