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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

apaise-toi moyennant tel cadeau. Ne le rebute pas trop, ne le caresse pas à l’excès ; tout en riant avec lui, va dans une autre chambre, montre-toi soucieuse. Promets et dépromets selon ton profit ; et tâche toujours d’attraper quelque bracelet, quelque bague, un collier, un chapelet : le pis qui puisse arriver, ce ne serait toujours que de les rendre. » C’est comme je le dis.

Antonia. — Il me semble presque le croire.

Nanna. — Crois-moi tout à fait, et non presque.

Antonia. — Et tu as été si perverse que cela ?

Nanna. — Qui pisse comme les autres est comme les autres ; tant que j’ai vécu putain, j’ai agi en putain et je n’ai répugné à faire rien de ce que doit être une putain ; car je ne me serais pas mise putain si je n’avais pas eu le caractère d’une putain, et si jamais femme mérita de recevoir le brevet de putain, c’est ta putain de Nanna qui surtout fut maîtresse en l’art d’avoir toujours vingt-cinq ans. On supputerait plus facilement le nombre des vers luisants d’une dizaine d’étés que les années d’une putain ! Aujourd’hui, elle te dit : « J’ai vingt ans. » Et six ans après, elle te jure n’en avoir que dix-neuf. Mais parlons de choses sérieuses. Que de pauvres diables j’ai fait tailler en morceaux et écharper, de mon temps !

Antonia. — C’est après ton temps que je voudrais te voir.

Nanna. — Dans ce temps-là, grâce aux jubilés, aux indulgences et aux stations, tu verras que mon âme ne sera pas des dernières dans l’autre monde, de même que mon corps n’a pas été des derniers en celui-ci ; non, Madonna ! je ne serai pas des dernières, quoique j’aie eu grand plaisir à faire s’entretuer pour moi les hommes : je le faisais par un noble orgueil, c’était la glorification de ma beauté que d’entendre jour et nuit les épées s’entre-choquer pour elle. Et gare à qui me regardait de travers : je me serais donnée au bourreau pour me venger.

Antonia. — Le mal est le mal et le bien est le bien…

Nanna. — Comme on voudra. Je l’ai fait et m’en repens, sans m’en repentir. Mais qui pourra te dire l’art que je pos-