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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

Nanna. — Excuse-moi, je ne me rappelais plus que tu en as été assassinée. La paresse d’une putain est plus aiguë et plus écœurante que ne l’est la mélancolie d’un courtisan qui se voit moisir à l’office, sans un liard de pension. L’avarice d’une putain ressemble à une bouchée qu’un ladre d’usurier dérobe à sa faim et replace dans le buffet, avec les restes du plat.

Antonia. — Et où mets-tu la luxure d’une putain ?

Nanna. — Antonia, qui boit toujours n’a jamais grand’soif, et qui est toujours à table rarement a de l’appétit. Si quelquefois elles veulent tâter d’une grosse clef, c’est une espèce d’envie comme celles des femmes enceintes qui mangent une gousse d’ail ou bien une prunve verte. Je te le jure par l’heureux sort que je cherche pour la Pitta, la luxure est la moindre des démangeaisons qu’elles puissent avoir, parce qu’elles sont toujours à penser comment s’y prendre pour arracher le cœur et la rate des autres.

Antonia. — Je le crois sans que tu le jures.

Nanna. — Et tu peux bien m’en croire. Mais déguste maintenant un millier de gentillesses que je veux te faire presque d’un trait.

Antonia. — Dis-les donc.

Nanna. — Trois particuliers, entre autres, m’aimaient : un peintre et deux courtisans ; et la paix qui règne entre les chiens et les chats était celle qui régnait entre eux. Chacun guettait pour venir chez moi le moment où il croyait n’y pas trouver l’un des deux autres. Il arriva que le peintre vint un soir, hors d’heure, frapper à ma porte ; on lui ouvrit. Il monte l’escalier et comme il allait s’assseoir à côté de moi, voici l’un des courtisans qui heurte ; je reconnais que c’est lui, je fais cacher le peintre et je vais au-devant du galant qui s’écrie en montant les marches : « Par le Diable ! fais-moi donc prendre ici ce poltron de barbouilleur de mitres à voleurs ! » Le peintre ne pouvait l’entendre ; pendant que l’autre lâche son flux de paroles, j’entends mon troisième amoureux qui, en toussant m’avertit d’aller lui ouvrir. Je cache celui qui en voulait au peintre et celui qui s’était fait