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LES RAGIONAMENTI

me força de sortir l’autre soir, tu me bénirais. Si je n’ai pas de sécurité avec toi, avec qui en aurais-je ? » Et tu peux te fier à moi pour les excuses que j’imaginais, comme d’avoir été chez quelque avocat, procureur ou sergent, à l’occasion d’un gros procès. Je me laissais alors tomber sur lui, les bras autour de son cou, et tandis qu’il plantait son lys dans mon jardin, je lui arrachais le cœur de la poitrine en même temps que le dépit sortait de son âme. Il ne s’en allait pas que je ne l’eusse fait chanter à ma gamme.

Antonia. — On a grand tort de ne pas te prendre pour maîtresse à l’École[1].

Nanna. — Merci de ta grâce.

Antonia. — Remercie ton mérite, plutôt.

Nanna. — Non ta grâce. Mais écoute de quelle façon nouvelle je me fis un jour presque riche. Un Gentilhomme qui se mourait pour moi voulut m’emmener deux mois dans l’un de ses domaines, ce qui me suggéra l’idée de répandre le bruit que je voulais dire « adieu à tout le monde ! » J’envoyai chercher un Juif, je fis marché avec lui de mes meubles, non sans grand crucifiement de mes amoureux, et après avoir placé mon argent dans une banque, sans qu’ils l’apprissent je m’en fus avec le Gentilhomme.

Antonia — Pourquoi vendais-tu tes meubles ?

Nanna. — Pour les rendre neufs, de vieux qu’ils étaient. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’aussitôt que je revins, mes galants accoururent m’en racheter d’autres, comme les fourmis accourent aux graines qu’on vient de semer.

Antonia. — Ce sont les maléfices dont vous ensorcelez les malheureux qui les font si crédules.

Nanna. — Je ne nie pas que l’on use de tous les artifices pour les aveugler : nous leur donnons à manger jusqu’à notre ordure et notre marquis[2]. J’en connais une, que je ne veux pas nommer, qui, pour faire courir un amant après elle, lui

  1. L’École de chant.
  2. Les menstrues.