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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

des cent. » J’appliquais un baiser au memier qui me tombait sous la main, et je lui disais : « Donnez un jules ! » Et il aurait bien été noté pour un pouilleux celui qui ne se serait pas exécuté. Après la servante arrivait ma mère, les bras chargés de lin : « Si tu laisses cela t’échapper des mains, s’écriait-elle, jamais tu ne retrouveras une si belle occasion. » J’en appliquais deux à un autre, et après qu’il m’avail payé le filage de la toile, cette société partie, d’autres se présentaient ; je leur faisais dire que j’étais en compagnie et ne laissais ouvrir qu’à un, à condition qu’il entrât seul. Celui-là, après en avoir fait une étuvée en le cuisant au feu de mes baisers, je le cajolais si bien que, le jour même, il m’envoyait une couverture de lit en soie piquée, une tapisserie, une peinture dans son cadre ou quelque chose de prix que je le savais posséder. Grâce à ce présent, je lui promettais, avant même qu’il ne me le demandât, de le laisser venir coucher avec moi, il m’envoyait un souper des plus exquis, et lorsqu’il arrivait pour le manger ensemble, je lui faisais dire d’aller faire un petit tour, puis de revenir. Le petit tour achevé, il revenait ; la servante lui disait : « Attendez encore un tout petit peu. » Il en attendait deux, frappait de nouveau, ne trouvait plus personne pour lui répondre et se mettait à me menacer : « Putain ! truie ! par le corps de l’Immaculée et du Consacré, tu me le payeras. » Et moi de rire, moi qui soupais avec un autre à ses dépens, et en riant de m’écrier : « Pialle tant que tu voudras ; à ta barbe, tu l’auras. »

Antonia. — Comment te le pardonnait-il ensuite, si c’était un homme de quelque considération ?

Nanna. — Que ce fût qui ça voudra, il restait deux jours durant sur sa fâcherie ; puis ne pouvant plus tenir en bride le poulain me faisait entendre qu’il avait à me dire un mot. « Mille plutôt qu’un ! » répondais-je. On lui ouvrait, il venait à moi, pâle de colère, et s’écriait : « Je ne t’aurais jamais cru ! » Je lui répondais : » Mon âme, crois-moi si tu veux me croire : je n’aime, je n’adore, je ne porte dans mon cœur que toi seul. Si tu savais, oui, si tu savais l’importante affaire qui