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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

ment seul, coucher avec moi ; le pauvre diable, guetté par lui, fut criblé de coups de couteau.

Antonia — Des piqûres de guêpes ! Mais, dis-moi, pourquoi celui-ci venait-il deux heures avant le jour ?

Nanna. — Parce qu’à cette heure-là me quittait un autre, qui ne pouvait pas rester davantage. Crois-tu, par hasard, que si je dormais volontiers avec un galant, il fût le seul à me la chatouiller, hein ? Je me levais mille fois d’à côté de mon marchand, sous prétexte d’avoir mal au ventre, à l’estomac, et j’allais contenter l’un ou l’autre, caché dans la maison. L’été, m’en prenant à la chaleur, je le quittais en chemise, passais par la salle et m’accoudais à la fenêtre pour tenir conversation à la lune, aux étoiles et au ciel ; pendant ce temps-là, je m’en collais comme cela quelquefois deux sur le dos, en moins que rien.

Antonia. — Qui quitte le jeu perd la partie.

Nanna. — Cela ne fait pas de doute. Maintenant, goûte-moi celle-ci. Après avoir mis à sec dix ou douze de mes amis qui ne pouvaient plus rien fournir, tant je les avais fait couler, je délibérai de les nettoyer tout fait.

Antonia. — Quelle ruse imaginas-tu ?

Nanna. — Je donnais les pommes et le fenouil à un apothicaire en même temps qu’à un médecin auxquels je pouvais me fier : « Je veux, leur dis-je, faire semblant d’être malade, pour que mes galantins opèrent ma guérison. Vous, le médecin, dès que je me serai mise au lit, déclarez que je suis perdue et ordonnez-moi des drogue qui coûtent cher ; toi, l’apothicaire, tu les inscriras sur ton livre et tu m’enverras à la place tout ce que tu voudras. »

Antonia. — Je te pêche à la ligne : de cette façon, tu attrapais l’argent que tes amants donnaient au médecin et à l’apothicaire ; ceux-ci te le rapportaient.

Nanna. — Tu as du bon dans l’entendement. Ce fut à s’en décrocher la mâchoire quand, au souper, avec mes galants, je feignis de me trouver mal et tombai sur la table. Ma mère, qui connaissait l’enclouure, me délace, toute épouvantée, me porte sur le lit, aidée par eux, et se met à me pleurer comme