Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
144
L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

la tête de ma servante et retournai chez moi en les emportant ; ce qu’il dut dire à son réveil, tu peux le penser.

Antonia. — C’est bien à deviner.

Nanna. — Il se leva, s’avisa de ma chemise cousue du haut en bas, et crut d’abord que je l’avais échangée par mégarde ; mais ne trouvant plus son paquet de linge sale, il me fit citer à la Corte Savella, d’où on le renvoya comme un benêt. De cette façon je me moquai de celui qui voulait se moquer de moi.

Antonia. — C’était bien fait.

Nanna. — Écoute celle-ci. J’avais pour amant certain marchand, bonne pâte d’homme, qui ne m’aimait pas, non, qui m’adorait. Il m’entretenait, et très certainement je lui faisais bien des caresses, sans néanmoins être folle de lui. Et à qui te dit : « Telle courtisane se meurt pour un tel », réponds que ce n’est vrai. Ce sont des caprices qui nous viennent de tâter deux ou trois fois de quelque gros manche ; ces caprices-là durent autant que soleil d’hiver ou pluie d’été. Il est impossible que qui subit tout le monde aime personne.

Antonia. — Ça, je le sais par moi-même.

Nanna. — Or, ledit marchand dormait avec moi à discrétion. Pour me donner de la réputation et achever de l’incendier, je le rendis jaloux très galamment, lui qui faisait profession de ne pas l’être.

Antonia. — Comment t’y es-tu prise ?

Nanna. — Je fis acheter deux couples de perdrix et un faisan, et, après avoir donné le mot à un portefaix, vaurien dès au sortir du nid, inconnu à la maison, je lui dis de venir heurter à ma porte sur l’heure du dîner, quand le marchand était à table avec moi. La servante lui ouvrit. Voici notre homme qui entre et qui après un « Bonjour à Votre Seigneurie ! » ajoute : « L’Ambassadeur d’Espagne la supplie de manger ce gibier pour l’amour de lui, et, quand il vous plaira, voudrait bien vous dire vingt-cinq paroles. » J’ai l’air de le rebuffer et je m’écrie : « Quel Ambassadeur ou non Ambassadeur ? Remporte-moi tout ça ; je ne veux pas entendre d’autre Ambassadeur que celui-ci, qui me fait plus