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INTRODUCTION

adieu définitif. C’est alors qu’homme libre par la grâce de Dieu, il s’intitule : le Fléau des Princes, le Véridique et le Divin. « Pourquoi, s’est demandé Jacobus Gaddius[1], s’arrogea-t-il la divinité avec le consentement de ses contemporains ? Je ne sais. À moins que peut-être il ne voulût signifier qu’il exerçait les fonctions de Dieu, en foudroyant, au semblant de très hautes montagnes, les têtes les plus élevées. »

À Venise, l’Arétin trouve le moyen de s’enrichir en écrivant des lettres. Passant, tour à tour, du parti de François ier dans celui de Charles-Quint, respecté par le Roi et par l’Empereur, honoré par les papes, l’Arétin, comblé d’honneurs, dispose de la plus haute puissance de son temps. On le craint, on le flatte, il a de nombreux ennemis dont il est à l’abri, et ses amis sont plus nombreux encore. Ils font partie de toutes les classes de la société. Son nom est fameux jusqu’en Perse. Il habite, sur le Canale Grande, un palais somptueux détruit aujourd’hui. Au lieu d’intendant et de majordome, ce sont six belles filles qui dirigent sa maison ; on les appelle les Arétines. Il choisit ses maîtresses comme ses commensaux, dans la noblesse aussi bien que parmi le peuple. Sa maison est ouverte à tous comme un port de mer. C’est une hôtellerie pour les pèlerins affligés, pour les lettrés affamés et pour toute sorte de chevaliers errants. Généreux à l’excès, il donne ce qu’il possède, ne parvenant pas cependant à s’appauvrir. Chaque jour, de sa petite écriture nette et nerveuse, il écrit des lettres destinées, par menaces ou par flatteries, à provoquer des dons, à entretenir l’admiration et une sainte terreur de sa plume étincelante. Il écrit vite, improvisant, en quelque sorte, des comédies où l’on a pu voir en lui un précurseur de Molière, des écrits satiriques et libres selon la mode du temps, des paraphrases religieuses pour lesquelles il doit ambitionner en vain le chapeau de cardinal. Il compose des poèmes chevaleresques qui n’en finissent plus et qu’il détruit lui-même,

  1. Cité par Bayle (Dict.).