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LES RAGIONAMENTI

Nanna. — Ses hardes, comme tu vas le voir. Le matin, la servante entrait dans ma chambre et prenait les habits de l’étranger sous prétexte de vouloir les brosser ; elle les cachait, puis criait bien haut qu’on venait de les lui voler. Le bon étranger, sortant du lit en chemise, réclamait ses affaires et menaçait de briser les meubles pour se payer. Je criais plus haut que lui : « Tu veux casser mes meubles ! Tu veux me faire violence chez moi ? Tu me traites de voleuse ! » À ces mots, mes garnements, qui étaient cachés en bas, d’accourir, les épées tirées, et de demander : « Qu’y a-t-il donc, Signora ? » Ils vous mettaient la main au collet de l’homme qui, en chemise, semblait en disposition d’aller accomplir un vœu. Il me demandait aussitôt pardon, considérait comme une faveur d’envoyer chez quelqu’un de ses amis ou de ses connaissances emprunter pour lui chausses, casaque, manteau, pourpoint, toque, et sortait de chez moi, s’estimant heureux de n’avoir pas eu affaire aux tiens-toi-tranquille.

Antonia. — Comment ton cœur s’en trouvait-il ?

Nanna. — On ne peut mieux, parce qu’il n’y a ni cruauté, ni trahison, ni filouterie qui fasse pour une putain. Mais le bruit de mes façons d’agir se répandit, et ces étrangers, qui en eurent vent, ne vinrent plus chez moi, ou, s’ils venaient, ils se faisaient d’abord déshabiller par leur valet qui emportait les vêtements à l’auberge et revenait le matin les rhabiller. Malgré tout, aucun ne sut jamais si bien s’y prendre qu’il n’y laissât ses gants, ses bretelles, son bonnet de nuit ; une putain tire parti de tout, d’une aiguillette, d’un cure-dent, d’une noisette, d’une cerise, d’une tête de fenouil, même d’une de poire !

Antonia. — Et, avec toutes leurs roueries, à peine se préservent-elles d’en venir à vendre les bouts de chandelle ; le mal français, le plus souvent, est le vengeur de ceux qu’elles ont si maltraités. C’est vraiment drôle d’en voir une qui, ne pouvant plus cacher sa vieillesse sous le fard, les fortes eaux de senteur, la céruse, les belles robes, les grands éventails, fait argent de ses colliers, de ses bagues,