Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
140
L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

ne connaît ni obligeance, ni désobligeance : son amour est celui du taret, qui s’attache d’autant plus qu’il n’a plus à ronger. Le dos tourné : Je t’ai vu à Lucques ! Je lui faisais, te dis-je, les plus grandes sottises possibles, et je lui en fis d’autant plus qu’il ne me donnait plus à pleines mains ; pourtant il donnait toujours un peu. Il couchait avec moi les vendredis, et, chaque fois, je me mettais à pousser des cris dès le souper.

Antonia. — Pourquoi ?

Nanna. — Pour lui faire mal tourner sa digestion.

Antonia. — Quelle cruauté !

Nanna. — Comme tu voudras. Après avoir dévoré de tous les plats, je traînais jusqu’à sept ou huit heures[1], avant d’aller au lit ; puis, couchée avec lui, je lui donnais à ronger de si mauvaise grâce qu’il s’ôtait de dessus moi, reniant son baptême, et refusait de rien faire. Mais la rage d’amour le reprenait et comme je ne lui faisais pas les caresses auxquelles il s’attendait, il revenait de mon côté ; moi, je me tenais coite. Alors il se mettait à me secouer en me disant des brutalités, les larmes aux yeux, et pour me monter dessus, il lui fallait me donner tout l’argent qu’il avait sur lui avant de me faire consentir.

Antonia. — Tu étais une vraie Nérone.

Nanna. — Vis-à-vis des étrangers qui venaient pour passer huit ou dix jours à Rome et s’en aller, j’usais de grandes pendarderies. J’avais à ma disposition quelques coupe-jarrets qui expédiaient gratis la chose avec moi une fois sur cent, et qui me servaient à faire peur de la manière que je vais te dire. Ces étrangers qui viennent visiter Rome, après avoir vu les antiquailles, veulent aussi voir les modernailles, c’est-à-dire les Signores, et faire avec elles les grands Seigneurs. J’étais toujours la première visitée de cette espèce de gens, mais qui passait la nuit avec moi y laissait ses hardes.

Antonia. — Comment diable ? ses hardes ?

  1. Une heure ou deux heures du matin.