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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

pâmer. Le matin, ma mère, qui riait en dedans, nous voyant au lit, me donna sa bénédiction et saluant Sa Seigneurie, pendant que je lui faisais les plus douces caresses de baisers que j’eusse apprises, lui dit : « Demain, je veux partir de Rome ; j’ai reçu une lettre du pays, j’entends y retourner et mourir au milieu des miens. D’ailleurs, Rome est pour celles qui ont de la chance et non pour celles qui n’en ont pas. Bien sûr, je n’en partirais jamais si je pouvais vendre nos biens et acheter au moins une maison ici ; je croyais pouvoir en prendre une à loyer, mais l’argent ne vient pas et je ne suis pas femme à rester dans les chambres des autres. » Ici je lui coupai la parole dans la bouche : « Ma mère ! dis-je, je suis morte en deux jours, si je me sépare maintenant de mon cœur. » Et je lui appliquai un baiser accompagné de deux petites larmes. Le voici qui se redresse, s’assied sur le lit et dit : « Ne suis-je pas homme à vous procurer une maison et à vous la garnir du haut en bas ? Putain à nous et à vous[1] ! » Il se fit donner ses habits, se leva comme un homme qui est pressé et s’élança hors de la maison. Il revint le soir, une clef à la main, avec deux portefaix chargés de matelas, de couvertures, d’oreillers, deux autres portant des bois de lit, des tables, et je ne sais combien de Juifs par derrière avec des tapisseries, des draps, de la vaisselle, des seaux, des ustensiles de cuisine ; on aurait dit un déménagement. Il emmena ma mère, nous installa une petite maisonnette bien gentille, de l’autre côté du fleuve, revint me voir, paya la femme qui nous avait logées, fit mettre nos affaires sur une charette et, à la tombée de la nuit, me conduisit à ma nouvelle demeure. Tant que nous fûmes ensemble, il fit bonne dépense pour un homme de sa sorte, oui, bonne, je t’assure. Comme je ne me montrais plus à la fenêtre de l’autre logis, on finit par savoir où j’étais, et bientôt une nuée de galants vint s’abattre autour de moi comme les guêpes au bruit du chaudron ou des abeilles sur les fleurs. J’acceptai de l’œil l’amour de l’un

  1. Façon de jurer.