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LES RAGIONAMENTI

grâce, ajouta le Courtisan ; dis-lui que si jamais elle voulait écouter quelqu’un, tu lui mettrais dans la main tel joli cadeau qu’elle t’en bénira le reste de sa vie. » La patronne jura qu’elle le ferait, congédia l’homme et remonta. Quelques instants après, elle vint nous trouver : « Pour sûr, dit-elle, il n’y a personne qui sache mieux que les ivrognes où est le bon vin ; votre fille a été flairée au nez ; ces braques de courtisans vous dénichent les cailles du premier coup. Je vous dis cela parce que l’un d’eux est venu, de sa propre personne, me demander de lui obtenir de vous une audience. » — « Non, non ! répondit ma mère ; non, non ! » L’autre, qui avait une langue de vipère, reprit : « La meilleure preuve de sagesse que puisse donner une femme, c’est de saisir l’occasion, quand Dieu la lui envoie. Celui dont je parle est un homme qui peut vous faire d’or. Réfléchissez-y ! » ajouta-t-elle en nous quittant. Le lendemain, elle donna quelques traits de corde, à l’aide d’une table bien garnie, à ma mère, qui, bonne revendeuse de conseils, excellente ménagère de ses intérêts, en passa par où elle voulut. Elle lui promit de prêter l’orellle au galant, qui croyait déballer des laines françaises[1] en couchant avec moi. On le fit venir, et après mille serments et conjurations, il paya les arrhes de mon pucelage en me promettant Monts et Merveilles[2].

Antonia. — Admirable !

Nanna. — Pour abréger, vint la nuit en question. Après un souper qui valut un festin, et où je ne touchai à rien, sinon que je mangeai une dizaine de bouchées, mâchonnées les lèvres closes, ni ne bus qu’un demi-verre de vin tout noyé d’eau, en vingt gorgées, sans qu’il fût prononcé une parole, on me conduisit dans la chanbre de la Patronne qui la prêta pour cette nuit, moyennant l’âme d’un ducat. Je n’étais pas plus tôt entrée qu’il ferma la porte, sans vouloir que personne l’aidât à se déshabiller, ce qu’il fit lui-même

  1. Les laines françaises étaient réputées de première qualité.
  2. Promettendomi Roma e Toma, locution impossible à traduire littéralement.