Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
131
LES RAGIONAMENTI

homicide, à laisser mourir tant de serviteurs qui sont vôtres ? » Alors je soulevais un peu la jalousie et la laissant retomber avec un sourire, je me réfugiais dans ma chambre. Eux, avec un « Je baise la main à Votre Seigneurie ! » et un « Je jure Dieu que vous êtes cruelle ! » ils s’en allaient.

Antonia. — C’est aujourd’hui que j’entends le plus beau.

Nanna. — Nous en étions là quand ma mère, toujours fine, voulut un jour me faire faire une petite exhibition, persuadée que c’était le bon moment. Elle m’habilla d’une robe de satin violet, sans manches, toute simple, et me releva les cheveux autour du front : tu aurais juré voir non des cheveux, mais un écheveau de soie entremêlé de fils d’or.

Antonia. — Pourquoi t’avait-elle mis une robe sans manches ?

Nanna. — Pour montrer mes bras blancs comme des pelotes de neige. Elle me fit laver la figure dans une eau à elle, plutôt forte que non, et sans autrement m’embrener de fard, au plus beau moment des allées et venues des Courtisans me fit mettre à la fenêtre. Dès que je me montrai, on aurait dit que l’étoile apparût aux mages, tant ils furent aises : abandonnant les rênes sur les cous de leurs chevaux, tous se délectaient à me regarder, comme des gueux à un rayon de soleil. Ils levaient la tête et me contemplaient, les yeux fixes, semblables à ces animaux qui viennent du bout du monde et se nourrissent d’air[1].

  1. Le caméléon, avait écrit Léonard de Vinci, vit d’air et se concilie tous les oiseaux, et pour être plus en sécurité vole au-dessus du nuage, dans une zone si subtile que les oiseaux qui l’ont suivi ne peuvent s’y soutenir.

    À cette hauteur ne va que celui à qui le ciel a permis comme vole le caméléon.

    Le caméléon prend toujours la couleur de la chose où il se pose. Parfois il se confond avec le feuillage et ainsi les éléphants le dévorent. — Léonard de Vinci, Textes choisis ; Péladan trad. (Société du Mercure de France), 1907, p. 258.

    Ces croyances fabuleuses touchant le caméléon ont été admises pendant très longtemps.