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LES RAGIONAMENTI

d’ailleurs riraient bien de nous, qui, pour paraître fines entre toutes, donnons tant d’armes contre nous-mêmes. Il me semble qμe je ne sais qui s’en occuppe de les écrire ; les oreilles me tintent : cela doit être vrai.

Nanna. — Il ne peut pas en être autrement. Mais venons à l’entrée que fit avec moi ma mère à Rome.

Antonia. — Oui, venons-y.

Anna. — Si je m’en souviens bien, nous arrivâmes la veille de la Saint-Pierre, et Dieu te dise tout le plaisir que j’eus des fusées que tirait et des feux dont s’illuminait le Château, avec de terribles coups de canon, puis des fifres qui sonnaient, tout le monde sur le Pont, dans le Borgo, au Banchi[1].

Antonia. — Où logiez-vous cette première fois ?

Nanna. — Au quartier de Torre di Nona, dans une chambre garnie, toute tapissée. Nous y étions depuis huit jours, quand la patronne de maison, qui était folle de moi, tant je lui semblais jolie, en dit un mot à un Courtisan : tu aurais vu les gens, dès le jour suivant, se promener comme des chevaux fourbus autour de notre logement, dépités de ce que je ne me laissais pas assez voir à leur guise. Je me tenais derrière une jalousie que je relevais un peu, et, montrant à peine la moitié de ma figure, vite je l’abaissais, et bien que je fusse belle, mes beautés entrevues comme un éclair me faisaient plus belle encore. Ce manège ne fit qu’accroître chez tout le monde l’envie de me connaître, et l’on ne parlait dans Rome que de cette étrangère, nouvelle venue, les choses nouvelles plaisent, comme tu le sais ; on accourait à la file pour m’apercevoir, et celle qui tenait la maison n’avait pas une minute à rester en place, tant on venait frapper à sa porte. Tu peux te fier à eux touchant les hâbleries et les promesses qu’ils lui faisaient, en cas où elle me livrerait ; ma mère, la prudente femme qui m’enseigna tout ce que j’avais fait, tout

  1. La via dei Banchi était alors la principale rue de Rome et partant la plus fréquentée par les courtisanes. Il en a déjà été question au premier Dialogue, page 26.