Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
125
LES RAGIONAMENTI

Nanna. — Parmi les Femmes mariées aussi il y en a de vertueuses, qui se laisseraient plutôt écorcher comme Saint Barthélemy que de se laisser toucher du doigt.

Antonia. — Voilà qui me plaît bien encore. Si tu considères le besoin dans lequel nous naissons, nous autres pauvres femmes, force est bien que nous en passions par où les autres veulent, et nous ne sommes pas si dépravées qu’on le croit.

Nanna. — Tu n’y entends rien. Nous naissons de chair, te dis-je, et nous mourons de chair : la queue nous fait et la queue nous défait. Que tu sois dans l’erreur, je te le démontre par l’exemple des grandes dames, qui ont des perles, des chaînes, des bagues à jeter dans la rue, et par celui des mendiantes elles-mêmes, qui aimeraient mieux trouver Marie sur le chemin de Ravenne[1] qu’un diamant à facettes. Pour une à qui son mari plaît, il y en a mille qui rebutent le leur, et il est clair que pour deux personnes qui cuisent le pain chez elles, il y en a sept cents qui préfèrent celui du boulanger, parce qu’il est plus blanc.

Antonia. — Je te la donne gagnée.

Nanna. — Et je l’accepte. Résumons-nous. La chasteté féminine est semblable à une carafe de cristal : tu as beau prendre toutes les précautions, un beau jour que tu n’es pas sur tes gardes, elle t’échappe des mains et se casse en mille morceaux ; impossible de la conserver intacte, à moins de la tenir toujours sous clef, dans le buffet. La femme qui se conserve pure, on peut crier au miracle, comme d’une coupe de verre qui tomberait sans se briser.

Antonia. — Judicieuse comparaison.

Nanna. — Arrivons à la conclusion. La vie des Femmes mariées une fois bien vue et bien connue de moi, pour ne pas être au-dessous des autres, je me mis à passer toutes mes fantaisies ; des portefaix aux grands seigneurs, je voulus les essayer tous, les frocards, la prêtraille et la moinaille

  1. Trouver Marie sur le chemin de Ravenne, c’est aller au congrès, faire l’amour.